Les bateaux seront bientôt capables de voguer sans marins ni pilote à bord. De premiers tests se dérouleront l’an prochain, avec à la clef des économies considérables.
Après la voiture, ce seront bientôt les
bateaux qui se passeront de pilote. L'entreprise norvégienne Kongsberg a
officiellement sonné le départ de cette course technologique cet été en
annonçant la mise au point d'un cargo prototype qui sera testé dès l'an
prochain. Totalement électrique, ce porte-conteneurs fera la navette
entre Porsgrunn, au sud d'Oslo, et les ports de Brevik et de Larvik pour
acheminer sur les bords de la mer du Nord la production d'engrais de
l'industriel Yara. « Chaque jour, plus de 100 camions à moteur
Diesel effectuent la route de notre usine vers ces deux ports
d'embarquement, ce qui représente 40.000 voyages par an et autant
d'émissions polluantes que nous pouvons éviter », explique dans un communiqué le président de l'entreprise, Svein Tore Holsether.
24 heures sur 24
Baptisée
« Yara Birkeland » (en hommage au physicien Kristian Birkeland qui a
découvert l'origine des aurores boréales), cette navette fonctionnera
sans interruption, 24 heures sur 24, toute l'année, grâce à de nombreux
capteurs qui l'aideront à se guider et anticiper les obstacles.
L'entreprise anticipe une économie de 678 tonnes de CO2 par an. Mais son
engagement écologique aura un coût : 25 millions de dollars
d'investissement, soit trois fois le prix d'un porte-conteneurs de même
capacité.
Ce navire de transport n'a pour l'heure pas d'équivalent, mais d'autres équipes planchent sur le sujet dans le monde entier. « La technologie est prête »,
estime le vice-président innovation de Rolls-Royce, Oskar Levander.
Dans un livre blanc sur sa vision des navires intelligents ( « Remote and Autonomous Ships. The next step » ), le fabricant de moteurs prévoit que les premiers gros cargos autonomes navigueront d'ici à 2020.
Pilotage à distance
Ces
navires automatisés seront contrôlés par des réseaux de capteurs à base
de caméras, de radars, de systèmes infrarouges, de GPS et de sonars
pour surveiller l'espace maritime, en surface comme sous l'eau. Ils
seront reliés en permanence par satellite à des salles de contrôle
équipées en réalité virtuelle pour simuler la vue du pont. Des pilotes y
superviseront le bon déroulement de la route maritime suivie par le
cargo comme s'ils se trouvaient à la barre. « En mode autonome
normal, ces navires navigueront en échangeant leur position et leur
vitesse avec le centre de contrôle. Le système sera capable d'identifier
seul d'autres navires croisant en mer, mais également des icebergs et
toutes formes d'obstacles. A distance, les pilotes pourront ainsi
superviser plusieurs navires en même temps », explique le groupe.
Son
approche n'est pas que théorique. Associé aux compagnies de transport
maritime Finferries et ESL Shipping, à l'université finlandaise de
technologie de Tampere et au cabinet d'analyse Brighthouse Intelligence,
Rolls-Royce investit en ce moment 6,6 millions d'euros dans un test
grandeur nature, le projet Awaa, destiné à explorer les facteurs
économiques, sociaux, juridiques, réglementaires et technologiques
nécessaires au fonctionnement des futurs navires autonomes.
Tests en Norvège
Les spécifications sectorielles préliminaires qui en seront tirées permettront aux autres acteurs d'accélérer le pas. Le groupe Bourbon
, numéro deux mondial des services offshore, a, par exemple, annoncé
cet été qu'il rejoignait le projet de navire offshore automatisé «Hrönn
», engagé par le britannique Automated Ships en novembre dernier. Le consortium
a choisi de s'intéresser aux marchés de la prospection pétrolière, de
l'éolien offshore, de l'aquaculture et de l'hydrographie, qui réclament
des outils de surveillance, de sécurité, et des engins de
ravitaillement. Leur navire sera un monocoque en acier de 37 mètres de
long qui devrait être testé dans le fjord de Trondheim, où le
gouvernement norvégien a autorisé ce type d'essais dans un environnement
aquatique relativement protégé.
L'industrie
maritime ne voit que des avantages à s'engager sur ce terrain. La
sécurité du transport maritime sera d'abord renforcée dans un contexte
où, selon l'assureur Allianz, entre 75 % et 96 % des pertes en mer sont
le fait d'erreurs humaines, défend-elle. Sans équipage, la conception
même des navires pourra également être optimisée pour embarquer plus de
conteneurs et de marchandises en économisant les coûts de
main-d'oeuvre. BHP Billiton
, la plus grande entreprise minière du monde, s'est penché sur le
dossier. Elle estime que le déploiement de flottes automatisées
permettra à l'industrie maritime mondiale de réaliser une économie de
86 milliards de dollars par an, et ambitionne donc de réaliser tous ses
transports - soit environ 1.500 voyages chaque année pour convoyer
250 millions de tonnes de minerais de fer, de cuivre et de charbon - sur
des navires autonomes d'ici une décennie.
Les armées sont également friandes d'automatisme. L'Office of Naval Research (ONR), le bureau de recherche navale américain
, travaille ainsi à « droniser » des navires de surveillance à l'instar
des drones aériens. Ses équipes ont mis au point un kit de coordination
sans pilote, Caracas (« control architecture for robotic agent command
and sensing »), que les armées pourraient installer à la demande sur des
flottes de petits bateaux. Au cours d'une démonstration réalisée
l'automne dernier, l'ONR a présenté un essaim de quatre bateaux
pneumatiques capable de repérer l'intrusion d'un navire intrus dans une
zone maritime déterminée, de choisir lesquels envoyer pour analyser la
menace, et si nécessaire de l'escorter hors de la zone.
Si
les technologies de guidage et de supervision sont à peu près
maîtrisées, relever le défi du piratage, physique et informatique, sera
une autre affaire. Rolls-Royce imagine des navires sans échelles aux
bords courbes pour empêcher l'accostage, tandis que ses partenaires
planchent sur des solutions inédites de cyberprotection, avec une portée
de contrôle par satellite jusqu'à 3.500 milles marins.
Restera
à régler la question sociale : une étude réalisée par Bank of England
en 2015 estiomait que la vague d'automatisation maritime pourrait
balayer 15 millions d'emplois.
Vers des ports robotisés
Les
ports aussi suivent la courbe d'automatisation du commerce maritime. En
2015, l'inauguration du terminal robotisé du groupe Maersk à Rotterdam a
ouvert le bal. Les opérations logistiques y sont conduites par huit
gigantesques portiques contrôlés à distance et alimentés par des
véhicules électriques guidés sur des rails par des capteurs. Près de 300
serveurs et 2 datacenters supervisent l'ensemble, qui emploie deux fois
moins de salariés qu'un terminal classique.
Des
initiatives encore plus pointues s'organisent depuis. En France,
l'entreprise Gaussin porte avec BA Systèmes un projet (Vasco, « véhicule
automatisé supervisé pour conteneurs ») pour mettre au point un système
de guidage sans infrastructure pour le convoyage des conteneurs. Le
port de Dunkerque sera le premier à bientôt tester une flotte de ces
véhicules autonomes. P.M.
En chiffres
> 48.200.
Le nombre de navires de commerce qui croisent dans le monde. Environ 14
% sont des porte-conteneurs, 41 % sont des vraquiers et 38 % des
pétroliers.
> 9 milliards de tonnes. Le
volume de marchandises transportées chaque année par voie maritime.
Cela représente 90 % des échanges mondiaux. (Source : Isemar)
> 1.500 milliards d'euros. Le chiffre d'affaires du transport maritime mondial. Le secteur pourrait atteindre 2.000 milliards d'euros en 2020. (source : Isemar)
> 1,37 million. Le nombre de marins de commerce employés dans le monde. (Source : Isemar)
> 264.
Le nombre d'actes de piratage dans le monde en 2016. Les attaques sont
en baisse de 11 % en moyenne par an. (Source : International Maritime
Bureau)
> 96. Le nombre de navires commerciaux perdus en mer l'an passé (Source : Allianz Security Review)
> 6 minutes.
En moyenne, un navire de commerce touche un port français toutes les
six minutes. Le chiffre d'affaires du secteur s'élève à 6,5 milliards
d'euros en France. (Source Armateurs de France)
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