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Avril 1912 : les récits terrifiants des survivants du Titanic


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Avril 1912 : les récits terrifiants des survivants du Titanic




Le Titanic s'enfonçant dans l'océan, illustration de Willy Stöwer parue dans Die Gartenlaube, 1912 - source : WikiCommons

Le Titanic s'enfonçant dans l'océan, illustration de Willy Stöwer parue dans Die Gartenlaube, 1912 - source : WikiCommons
En avril 1912, dans les jours qui suivent le naufrage du Titanic, la presse publie plusieurs récits de la catastrophe de la part de rescapés. Des témoignages toujours glaçants plus d'un siècle après.
Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 a lieu l'une des plus terribles catastrophes du XXe siècle : le paquebot le Titanic, parti quatre jours plus tôt de Southampton, fait naufrage au large de Terre-Neuve, dans l'Atlantique Nord, après avoir heurté un iceberg.
La presse, relayant des informations erronées, annonce d'abord que tous les occupants ont pu être sauvés. En réalité, comme on l’apprendra bientôt, sur les quelque 2 200 passagers, 700 environ seulement ont survécu. Secourus par le navire le Carpathia, ils sont amenés le 18 avril à New York, où 40 000 personnes et toute la presse les attendent.
Dès le 20 avril, dans les journaux français, les premiers témoignages des rescapés paraissent. Le Petit Parisien publie ainsi plusieurs récits glaçants de la nuit du drame. Le Londonien Lawrence Beesley raconte comment il a pu, par chance, être évacué dans un canot de sauvetage :
« Je m'étais couché depuis dix minutes, lorsque vers 10 h 15, je sentis un petit choc, puis un second pas assez sérieux pour inquiéter personne. Cependant les machines s'arrêtèrent. J'allai sur le pont et j'y trouvai quelques autres passagers venus comme moi savoir pourquoi le vapeur s'était arrêté. Mais personne ne semblait inquiet […].
Un peu plus tard, entendant d'autres passagers monter sur le pont, je m'y rendis de nouveau, et je trouvai que le vapeur inclinait vers l'avant. Je redescendis et m'habillai plus chaudement. Comme je m'habillais, j'entendis crier l'ordre : “Tous les passagers sur les ponts avec les ceintures de sauvetage” [...].
Quelqu'un de l'équipage me vit et demanda : Y a-t-il des dames sur votre pont, monsieur ? Je répondis non. Le marin dit alors : “Vous pouvez bien sauter.” Je tombai dans le fond du bateau qui commençait à descendre. Deux dames furent poussées à travers la foule, du pont B, et jetées dans le bateau. Un bébé de dix mois suivit.
La nuit était belle et étoilée, mais sans lune, il n'y avait pas de lumière. La mer était calme. À une certaine distance le Titanic paraissait énorme ; les salons étaient étincelants de lumière. Il était impossible de croire qu'il pourrait arriver un désastre à un pareil Leviathan. Vers deux heures, nous vîmes le Titanic s'enfoncer dans la mer très rapidement ; l'avant et le pont furent complètement sous l'eau, le vapeur se leva sur toute sa hauteur verticalement ; les lumières qui avaient brillé tout le temps s'éteignirent, les machines roulèrent à travers le vaisseau avec un bruit qu'on aurait pu entendre à plusieurs milles de là […].
Puis dans une plongée oblique, il disparut : nos yeux avaient vu pour la dernière fois le vaisseau gigantesque sur lequel nous avions quitté Southampton.
Puis le son le plus épouvantable, que l'oreille de l'homme ait jamais entendu retentit : c'étaient les cris de centaines de nos semblables luttant dans l'eau glaciale avec l'espoir d'être sauvés, cris qui, nous le sûmes plus tard, ne trouvèrent pas de réponse. Nous désirions vivement aller au secours de ceux qui nageaient, mais nous sentions qu'en ce faisant nous aurions fait chavirer notre bateau et nous serions tous morts. »
Toujours dans Le Petit Parisien, une autre passagère, qui a perdu son mari dans la catastrophe, livre son récit :
« Mme Edgard Meyer, de New-York, fait l'éloge de tous les officiers et de tous les hommes qui se trouvaient à bord du Titanic. Son mari fut noyé. Comme elle voulait rester près de lui, il la plaça de force dans un canot, en lui rappelant qu'il fallait qu'elle vive pour leur enfant de neuf ans, qui était resté chez eux. Mme Meyer et une jeune Anglaise qui se trouvait avec elle sur le bateau ramèrent pendant quatre heures et demie.
“Nous étions loin du Titanic quand il sombra, déclarent-elles, mais nous pouvions entendre les cris d'horreur et d’angoisse de ceux qui étaient restés à bord. Sur le Carpathia, où nous étions environ soixante-dix veuves, le capitaine et les passagers firent tout ce qu'ils purent pour nous. Mme Marivin, de New-York, qui faisait son voyage de noces, apprit avec terreur, en arrivant hier à New-York, que son mari n'avait pas été sauvé par les autres paquebots.
Quand je suis montée dans le canot de sauvetage, dit-elle, mon mari me cria : ‘Tout va bien, ma chérie. Pars, je resterai.’ Il m'envoya un baiser, et depuis je ne l'ai plus revu.” »

Des rescapés de la catastrophe du Titanic, Agence Rol, 1912 - source: Gallica-BnF
Des rescapés de la catastrophe du Titanic, Agence Rol, 1912 - source: Gallica-BnF
Le même jour, La Petite République publie l'histoire spectaculaire de l'opérateur radio du Titanic, âgé de 22 ans :
« Le télégraphiste, M. Harold Bride, dit qu'il venait pour relever son chef, M. Philipps, au poste de télégraphie sans fil, lorsque le capitaine Smith, pénétrant dans la cabine, dit à M. Philipps :
– Nous venons de nous heurter à un iceberg. Ce que vous avez de mieux à faire, c'est de vous tenir prêt à lancer un appel de secours, mais ne l'envoyez pas avant que je vous le dise [...].
Il nous fallut longtemps encore pour que nous nous rendissions enfin compte que c'était vraiment sérieux. Jamais de ma vie je n'oublierai la façon dont Philipps, mon chef, travailla pendant cette terrible quinzaine de minutes ; je lui passai sous les aisselles une ceinture de sauvetage sans qu’il cessât de travailler [...].
Eu revenant à la cabine, j’aperçus un chauffeur ou quelque autre homme de l'équipage qui, se penchant au-dessus de mon chef, toujours à l'appareil, essayait de lui arracher sa ceinture de sauvetage. Alors, j’ai fait mon devoir ; j’espère bien avoir étendu raide ce gredin ; je l’ai laissé gisant sur le parquet de la cabine. Le télégraphiste Philipps courut à l’arrière : je ne l'ai pas revu.
À ce moment, la musique du bord jouait un air populaire et facile. J'aperçus sur le pont un bateau portatif [...] lorsque je fus balayé par une vague qui m'emporta avec le bateau, celui-ci s’était retourné et, j’étais pris dessous ; mais je parvins cependant à me dégager. Tout autour de moi, des centaines d'hommes flottaient, soutenus par des ceintures de sauvetage. Je nageai de toutes mes forces pour m'éloigner du Titanic, qui coulait. J'en étais peut-être à une cinquantaine de mètres, lorsque le Titanic disparut, barrière en l’air.
Enfin, je parvins à me cramponner au bateau portatif. La scène autour de moi était terrible : des hommes nageaient, d’autres s’enfonçaient. Avec plusieurs autres hommes qui, comme moi, avaient réussi à prendre place dans le bateau portatif, nous récitions des prières. Enfin on nous prit à bord d'un bateau de sauvetage […]. »
Dans le même numéro, c'est un militaire américain, le colonel Gracie, qui livre l'un des témoignages les plus poignants du drame :
« Le colonel Gracie, de l’armée américaine, au moment où le Titanic coulait, sauta à la mer du haut du pont supérieur et fut aspiré par les eaux [...].
“Je me mis à prier et à prier sans cesse pour obtenir d’être sauvé, quoique je fusse convaincu que ma mort était proche. J’eus les plus grandes peines du monde à retenir mon souffle avant de revenir enfin à la surface. Je savais que si jamais j'aspirais l'eau, je mourrais suffoqué. Je nageai éperdument pour remonter à la surface. Enfin, j’arrivai à l’air libre après ce qui me parut l’espace d’un siècle.
Je n’avais rien devant les yeux, rien que la nappe de l'Océan, piquée de glaçons et sillonnée de grandes masses d’épaves flottantes, et, de tous côtés, des hommes et des femmes, les uns déjà en proie aux affres de la mort, les autres gémissant et pleurant à fendre l’âme. Le second officier et un M. Thayer, qui nageaient près de moi, me dirent qu’un instant avant que ma tête émergeât des profondeurs de la mer, une des cheminées du Titanic s’était effondrée et était tombée près de moi, dispersant les corps qui flottaient.
Partout, je voyais des épaves ; je me cramponnais à tous les débris à la portée de ma main, passant d'une épave à une autre. J’arrivai à un radeau, qui fut bientôt si encombré qu’il semblait devoir couler si un plus grand nombre de personnes l'abordaient. Il fut donc décidé qu’on refuserait à toute personne de s'en approcher. Ce fut la scène la plus pathétique et la plus horrible qu’on puisse imaginer. J’entends encore à mes oreilles les cris lamentables de ceux que nous refusions.
Nous criions à tous ceux qui tentaient de s’approcher : ‘Cramponne-toi, mon vieux, du mieux que tu pourras, à ce que tu as sous la main, car un seul de plus sur le radeau serait la perte de nous tous.’ Beaucoup de ceux-ci nous saluaient en allant à la mort d’un : ‘Bonne chance, bonne chance, et que Dieu vous bénisse !’ [...]
Nous occupâmes toute notre nuit à réciter des prières ; il n’y eut pas un seul instant où des prières ne s'élevassent au-dessus des flots. Des hommes parmi nous qui, depuis des années, avaient oublié leur créateur, se rappelaient les prières de leur plus tendre enfance et se mettaient à les répéter. Combien de fois ne répétâmes-nous pas tous ensemble le Pater, pendant les angoisses de cette nuit terrible.” »
Enfin, un certain M. Thorton raconte les derniers instants d'un couple de millionnaires, M. et Mme Isidore Strauss (le mari étant propriétaire des grands magasins Macy's à New York), qui refusèrent de monter à bord des chaloupes :
« “Le vieux couple, dit-il, se tenait par le bras sur le pont des premières, impassible et très calme au milieu de la lutte de centaines de personnes devant les embarcations. Le vénérable M. Strauss rassurait tendrement la compagne de toute sa vie, et aucun d'eux ne fit la moindre tentative pour atteindre les canots.
Mme Strauss regardait son mari dans les yeux, et le tableau de ces deux vieux, serrés l’un contre l'autre, alors que la mort approchait, fut un des plus beaux tableaux que j'aie vus. Ces deux vieillards se tenaient debout, attendant avec calme une mort qu'ils savaient inévitable. Les marins tentèrent un moment de les séparer, cherchant à faire prendre place à Mme Strauss dans une des embarcations. Mais elle s'y refusa, ne voulant pas quitter son mari. Les marins l'abandonnèrent alors pour courir à d'autres.
Alors que les bateaux de sauvetage s'éloignaient, on put voir le vieux couple se tenant toujours par le bras. M. Strauss, se penchant vers sa vieille compagne, lui donna un long baiser d'adieu. »
Environ 1 500 personnes périrent lors du naufrage du Titanic. L'enquête qui suivit la catastrophe révéla que le navire ne possédait pas un nombre de canots de sauvetage suffisant et que l'équipage n'était pas préparé à gérer une situation aussi dramatique.

Pour en savoir plus :
Gérard Piouffre, Le Titanic, vérités et légendes, Perrin, 2018
Archibald Gracie, Rescapé du Titanic, Editions Ramsay, 1998

Aventure et flibuste en mer des Antilles



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Aventure et flibuste en mer des Antilles


Gallica vient de franchir le cap des 5 millions de documents. Parmi les derniers documents numérisés, figure ce manuscrit exceptionnel du XVIIe siècle, parfois désigné comme la « véritable Île au trésor ». Il s’agit en effet du plus ancien témoignage connu d’un flibustier français, parti voyager sur la mer des Antilles. Le manuscrit est conservé à la bibliothèque municipale de Carpentras, qui a confié à la BnF le soin de le numériser.

Découverte en 1987, conservée à la bibliothèque municipale de Carpentras (cote 590), qui possède l’un des plus riches fonds patrimoniaux de France, cette Relation d'un voyage infortuné fait aux Indes occidentales par le capitaine Fleury avec la description des îles qu’on y rencontre par l’un de ceux qui fit le voyage, 1618-1620 est remarquable à plus d’un titre.
 Un document exceptionnel
Ce journal constitue la plus ancienne description d’un voyage complet de flibuste, parti de Dieppe en 1618, passé par les îles du Cap-Vert, le Brésil, la Martinique, les Grandes Antilles, les côtes de Campeche et la Floride, avant de prendre la route pour la France.
Sa lecture montre que, contrairement à une légende tenace, ce type d’expéditions se terminait souvent lamentablement et que, bien plus que le combat, la plus grosse menace pour les flibustiers était la faim.  Il s’agit aussi de la plus ancienne source sur les Indiens Caraïbes qui peuplaient alors les Petites Antilles, et de la plus ancienne description connue de la Martinique, quinze ans avant la colonisation officielle de 1635. Les observations qui y sont compilées sont d’autant plus précieuses que ne s’y mêlent ni préoccupation religieuse, ni vue colonisatrice.
Le texte a été publié en 1987 par Jean-Pierre Moreau, sous le titre Un flibustier français dans la mer des Antilles en 1618-1620.
 Numérisé par la BnF et accessible gratuitement dans Gallica
Afin  d’assurer  la  préservation  et  l’accessibilité  de  ce manuscrit d’exception, la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras a fait le choix de confier la numérisation à la BnF et de bénéficier de son expertise en ce domaine. La réalisation a été effectuée au Centre technique de conservation Joël-le-Theule, à Sablé-sur-Sarthe.
Numérisé en haute définition, le manuscrit est désormais consultable par tous, dans Gallica, ainsi que dans le portail Manioc, bibliothèque numérique mise en place par l’Université des Antilles et co-pilotée par l’Université de Guyane, spécialisée sur la Caraïbe, l’Amazonie, le plateau des Guyanes et sur les régions et centres d’intérêt liés à ces espaces et territoires.
 Le fruit d’une ambitieuse politique de coopération numérique
La BnF mène depuis près de 25 ans une intense politique de coopération avec des partenaires situés sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. La numérisation et la mise à disposition dans la bibliothèque numérique Gallica en sont les axes forts. La numérisation du journal de flibustier, ce fleuron de l’histoire des Caraïbes conservé par la bibliothèque Inguimbertine, a ainsi été réalisée en 2018 dans le cadre d’un programme de numérisation concertée Caraïbe-Amazonie. Piloté par la BnF et son pôle associé interrégional des Antilles-Guyane, ce programme qui regroupe 13 partenaires permet aujourd’hui de rendre accessible à tous ce manuscrit exceptionnel.

Henry de Monfreid, le corsaire magnifique de la mer Rouge


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Henry de Monfreid, le corsaire magnifique de la mer Rouge


Henry de Monfreid (au premier plan) sur le pont du bateau le Massabieh, Paris-Soir, 15 mars 1935 - source : RetroNews-BnF
Henry de Monfreid (au premier plan) sur le pont du bateau le Massabieh, Paris-Soir, 15 mars 1935 - source : RetroNews-BnF
Navigateur, contrebandier, écrivain, poète, journaliste... Henry de Monfreid, encouragé par Joseph Kessel, a laissé à la postérité une œuvre prolixe inspirée de sa vie aventureuse dans la Corne de l'Afrique.
Henry de Monfreid (1879-1974) a trente-deux ans lorsque l'appel de la mer le fait quitter la France pour le jeter dans le tourbillon d'une vie d'aventures.
Un autre aventurier, l'écrivain et journaliste, Joseph Kessel résumera ainsi le début de son existence :
« De famille catalane, fils du comte Daniel de Monfreid, peintre et voyageur, ami de Gauguin, Henry de Monfreid débuta mal.
Il fut refusé à Polytechnique et se ruina dans des affaires et des amours médiocres.
Sans un sou, le cœur vide, il s'embarqua il y a vingt ans pour l'Abyssinie, sur la foi de vagues renseignements où il était question de commerce de café. Il avait alors dépassé la trentaine. Il considérait que sa vie était achevée. Elle commença. »
La mer Rouge devient son terrain d’aventure.
Il y entame une vie de contrebandier, s’essayant à tous les trafics : perles, armes, haschich et même morphine, qu'il revend aux riches Égyptiens, ce qui lui vaut plusieurs séjours en prison.
Avant même la parution de ses deux premiers romans, Secrets de la mer Rouge et Aventures de mer (1931 et 1932), le futur écrivain est déjà une légende.
En 1930, Joseph Kessel, venu enquêter sur les marchés d’esclaves d’Éthiopie, rencontre Monfreid, pour lequel il ne cache pas son admiration, et lui recommande de prendre la plume – plus tard, celui-ci racontera son entrevue avec Kessel :
« Un jour, un romancier français, qui faisait une enquête sur l’Ethiopie, vint me demander quelques renseignements.
Je lui remis toute ma paperasse en lui disant : Si ça vous chante, faites-en un bouquin”​.
Mais il eut la délicatesse de me répondre : “Essayez d’abord vous-même. Vous avez une mine sous la main. Elle vous appartient”​ ».
Suivant la recommandation de Kessel, Henry de Monfreid met alors en scène les aventures dont il est le héros.
Ses récits trépidants et hauts en couleurs remportent un franc succès dans les années 1930. La presse, unanime, est fascinée par la personnalité de ce personnage qui semble lui-même tout droit sorti d’un roman épique – chez Hergé, dans Les Cigares du pharaon, on voit d'ailleurs un personnage largement inspiré de Monfreid abandonner sa cargaison de fusils pour sauver Tintin de la noyade.
Il est un « écrivain », un « poète » et un « aventurier de haute allure », écrit Le Figaro lors de la parution de ses Secrets de la mer Rouge :
« Ces secrets, il nous en fait part dans un livre qui est la première partie du récit de la vie aventureuse que mena ce Français de bonne race attiré et fixé loin de son pays par le goût de l'action et la passion de l'indépendance.
Ce goût et cette passion, M. Henry de Monfreid trouva largement l'occasion de les satisfaire dans la région qu'il choisit pour y développer ses qualités d'audace, d'énergie et d'endurance, pour y vivre la belle et dure existence qu'il nous conte en des pages souvent admirables de couleur et de mouvement et qui attestent chez l'aventurier de haute allure qu'est M. Henry de Monfreid un écrivain et un poète. »


Son second roman, Aventures de mer, paraît seulement un an après le premier – et rencontre le même immense succès.
Pour donner à voir l'étendue de son talent de conteur, le journal socialiste Le Populaire en publie un extrait, dans lequel Monfreid raconte comment il dut gagner sa vie en tant que scaphandrier :
«  Les gens qui n'ont jamais revêtu un scaphandre ne peuvent imaginer l'étrange impression que produit cet ensevelissement conscient comme je l'ai éprouvé à mon premier essai.
[...] Là, dans ce grand sac où sont suspendus plus de quatre-vingts kilogrammes de plomb, le pauvre être humain devient prisonnier de cette puissance qui règle la marche de l'Univers.
Puis le casque de bronze est vissé sur ses épaules, la glace est encore ouverte. Mais quand elle se ferme, alors il est séparé du monde : tous les bruits de la vie extérieure cessent brusquement. Seul le rythme de la pompe semble compter le temps et la vie. D'où vient ce bruit maintenant maître de son existence ? Il est partout, dans ses oreilles, dans sa poitrine, il a remplacé les battements de son cœur...
Autour de lui, derrière les glaces, les autres hommes sont devenus muets ; ils font des gestes, ouvrent la bouche, mais il n'entend rien. Ce ne sont plus que les fantômes d'un monde qu'il va quitter. »
Lors de ses brefs passages en France, Monfreid se prête au jeu des interviews, nombreuses, pour lesquelles les journalistes parisiens le sollicitent, comme Jean Couvreur du Journal, qui se gausse de rencontrer le « corsaire en pantoufles »​ dans sa demeure cossue de Neuilly :
«  – Vous habitez Paris ?
– Un mois par an. C'est bien assez. je ne vis à mon aise que dans mon domaine du Harrar, en Abyssinie. [...] Cette année, je suis venu exprès pour corriger les épreuves de mon troisième livre : Croisières du haschich
– C'est un titre qui en dit long. Mais après sa cure de repos, ou de sagesse, en France, j'imagine que le corsaire, chez vous, reprend ses droits et que vous ne regagnez la côte des somalis que pour ajouter quelques chapitres à votre étonnante histoire ?
– Comme vous y allez ! La réalité est plus prosaïque. Je m'en reviens tout bonnement diriger ma centrale électrique, car j'ai une usine et des ouvriers à Djibouti. »
Et le journaliste, admiratif, de commenter avec emphase :
Quel curieux homme ! À quelle race, à quelle époque le rattacher ? Comme s'il devinait ce que je pense, il me dit :
– Je suis un anachronisme.
Un anachronisme ? Attention ! Cet Ulysse à moustache, au long profil de médaille, n'est pas précisément d'hier, il est d'aujourd'hui. Il est de demain. Le seul fait que Monfreid existe prouve que notre siècle ne pouvait se passer de lui.
D'autres, plus tard, recueilleront son héritage, qui, s'ils ne doivent pas, comme lui, arracher aux mers leurs trésors et leurs secrets, poursuivront ailleurs l'héroïque aventure. »
Fort de ses multiples expériences et de sa connaissance de « l'Arabie » (la Corne de l'Afrique et la péninsule arabique), Monfreid devient également correspondant de presse, notamment pour Paris-Soir, qui le surnomme le « Balzac de l’aventure ».
Lors de la seconde guerre italo-éthiopienne, Monfreid multiplie les reportages inédits, parfois au péril de sa vie. En 1935, il raconte, non sans emphase :
« Je reçois un télégramme impératif de Paris-Soir :
Il faut partir pour l'Erythrée, aller à la frontière éthiopienne, tout de suite, et cibler des nouvelles !
Partir pour Massawa ! [...] Mon voilier ? Mais il est là couché sur le flanc, à même le sable d'Obok, en réparation, le ventre ouvert.
Que faire ? Tant pis, je vais encore tenter ma chance sur la seule unité qui me reste, une petite embarcation non pontée de 5 mètres de long.
Entreprendre avec ça un voyage de 400 milles par temps de mousson, est quelque chose de plus que de l'imprudence. Mais après tout mon étoile peut-être n'est-elle pas éteinte et puis je sais que la prudence est souvent pleine de dangers. Le principal est d'avoir foi en la réussite. »
Monfreid ne s'en cache pas : il soutient les velléités expansionnistes de l'Italie fasciste. En 1942, après la débâcle de Mussolini en Éthiopie, il est déporté au Kenya par les troupes britanniques, avec les prisonniers italiens, dans d'atroces conditions. Libéré, il vit de chasse et de pêche sur les pentes du mont Kenya, épisode qui lui donnera la matière de son roman Karembo.
De retour en France en 1947, il s'installe dans un petit village de l'Indre, où il peint, joue du piano et, surtout, écrit.
À 79 ans, il se lancera dans un dernier périple avec son fils, qui le mènera de l'île de La Réunion jusqu'à Madagascar. Il le racontera, la même année, dans Mon Aventure à l'île des Forbans.
Henry de Monfreid mourra dans son sommeil, à 95 ans, laissant à la postérité une œuvre foisonnante de plus de 70 romans.

Pour en savoir plus : 
Henry de Monfreid, La Trilogie du hachich, Grasset, 2015 (rééd.)
Daniel Grandclément, L'Incroyable Henry de Monfreid, Grasset, 1998 (rééd.)
Julien Hage, « Les littératures francophones d'Afrique noire à la conquête de l'édition française (1914-1974) », in: Gradhiva, 2009, via Musée du Quai Branly

Cap au Nord avec Julien Blanc-Gras


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Cap au Nord avec Julien Blanc-Gras : l'écrivain-voyageur court le monde sans se prendre au sérieux


Julien Blanc-Gras, écrivain, journaliste et voyageur est allé au Groenland. De ce voyage, il a rapporté un récit insolite, Briser la glace (Paulsen), plein de fraîcheur, d’humour et de sincérité.

Invité au festival Etonnants Voyageurs, il a volontiers évoqué plus en détails ce voyage en contrée arctique, la genèse du livre et sa passion plus générale pour le voyage, la rencontre avec la population locale et l’écriture dont aujourd’hui, sa vie tout entière se nourrit et semble s’épanouir.


© Chantal Parent 
Cécile Pellerin. Pour ceux qui n’auraient pas encore lu votre livre, pouvez-vous en quelques mots, préciser l’origine de ce voyage ?
Julien Blanc-Gras. Les Editions Paulsen m’ont proposé de participer à une expédition sur le voilier Atka que le propriétaire, un guide de haute-montagne de Chamonix, François Bernard, passionné par l’Arctique, met à disposition des artistes. Ce bateau est une sorte de résidence artistique itinérante et j’ai eu la chance d’y séjourner quelques semaines avec deux marins et un peintre, Gildas Flahaut, dont le livre, Le bal des glaces (Paulsen) est né du même voyage.

CP. Est-ce que l’image que vous vous étiez faite du Groenland et de ses habitants s’est révélée conforme à ce que vous avez finalement vécu ?
Julien Blanc-Gras. Je suis arrivé au Groenland avec des stéréotypes, des images d’Epinal dont certaines se sont révélées exactes. Mais heureusement, lorsqu’on voyage, on est toujours surpris. Et cette fois, c’est l’incroyable beauté des paysages qui m’a vraiment surpris. De toute ma vie de voyageur,  (et je voyage assidûment depuis 20 ans, un peu partout dans le monde) ce sont les plus beaux paysages jamais vus. Au-delà de ce choc esthétique, c’est aussi la rencontre avec les habitants qui a créé un fort étonnement. Les Groenlandais d’abord, descendants des Inuits qui forcent l’admiration car ce peuple a su développer sa survie dans des conditions extrêmement hostiles depuis des millénaires. Héritiers de cette tradition, ces habitants s’inscrivent en même temps pleinement dans la modernité, connectés à la société moderne et c’est ce mélange-là qui est très intéressant.

CP. Quel fut votre plus fort étonnement ?
Julien Blanc-Gras. Les icebergs et l’immense glacier de Sermeq Kujalleq à proximité d’Ilulissat. Un paysage absolument fascinant. On est complètement ahuri devant ce spectacle-là.

CP. Le Petit Futé sort un guide sur le Groenland. C’est la 1ère fois, je crois. Qu’en pensez-vous ? Le voyage vers l'Arctique se démocratise-t-il ?
Julien Blanc-Gras. En effet, il y a de plus en plus de gens qui viennent visiter le Groenland. Les croisières se multiplient notamment mais on est encore loin du tourisme de masse. Mais j’espère que la population saura bénéficier des avantages de ce tourisme qui se développe sans en subir les nuisances.

CP. Avez-vous vu le film « Le voyage au Groenland » de Sébastien Betbeder ? Ne trouvez-vous pas que par certains côtés, la manière d’aborder le pays ressemble un peu à la vôtre ?
Julien Blanc-Gras. Non pas encore. Je n’étais pas en France lorsqu’il est sorti. Mais le côté burlesque et cocasse que l’on évoque à propos de ce film, semble  pouvoir se rapprocher de l’atmosphère de mon livre.



CP. Au-delà de la description des paysages et de votre étonnement à les découvrir qui interpellent, fascinent et amusent le lecteur, c’est aussi votre spontanéité et votre enthousiasme à aller vers la population locale qui offrent au livre une tonalité inédite. Est-ce que la rencontre, au-delà du barrage de la langue, fut plus difficile qu’ailleurs ? Pourquoi ?
Julien Blanc-Gras. Bien sûr, peu d’habitants parlent l’anglais et effectivement le groenlandais est une langue assez difficile à appréhender mais, malgré tout, on parvient à communiquer, à échanger et l’échange ne fut pas plus difficile qu’ailleurs.

CP. Comment s’est déroulée la cohabitation sur le navire ? Aisée ou non ? Etiez-vous aguerri à la voile ? Avez-vous eu des déboires de navigation ? Avez-vous eu peur ?
Julien Blanc-Gras. J’avais une petite appréhension au départ puisque je montais sur un bateau avec des gens que je n’avais jamais rencontrés auparavant. Est-ce qu’on allait devenir amis pour la vie ou au contraire s’entretuer ? Mais en fait, tout s’est bien passé. Les jeunes et vaillants marins qui se sont occupés du bateau m’ont ramené à terre et en vie et ils ont eu la générosité de me faire partager leur savoir maritime. Humainement, tout s’est vraiment bien passé et j’ai appris sur la navigation.

Le peintre, Gildas Flahaut, « notre tonton » sur le bateau est un type formidable, un racontar d’histoires, généreux et drôle, avec qui on a partagé des moments formidables. En fait, tout le monde était content d’être là et en général, dans cette configuration-là, tout se passe bien.

J’ai éprouvé une petite frayeur (que je raconte dans le livre) une nuit où le bateau s’est enquillé sur un haut fond avec les icebergs autour. Nous étions assez loin de tout. J’avais un peu de mal à évaluer la réalité du danger mais pendant un quart d’heure la situation s’est avérée assez compliquée mais nos vaillants marins ont réussi à nous sortir de ce traquenard. Pour l’anecdote, juste après ce moment d’adrénaline, j’ai vu ma première aurore boréale. Une succession d’émotions assez troublante.


© Julien Blanc-Gras
CP. Dans votre récit de voyage, par ailleurs, nourri de lectures d’explorateurs, vous évoquez (sans que ce soit l’essentiel de l’ouvrage) les nouveaux enjeux environnementaux (et sociaux) qui se trament autour des ressources du sol et de l’autonomie renforcée de l’île ? Avez-vous une volonté d’alerte ?
Julien Blanc-Gras
. On me pose souvent cette question. Personnellement, je ne me vois pas comme un militant pour quelque cause que ce soit d’ailleurs mais plutôt comme un témoin. Le changement climatique n’est pas le sujet central du livre mais c’est impossible de ne pas en parler tant, au Groenland, il fait partie du contexte. J’avais déjà évoqué cette problématique du climat lors d’un précédent livre sur les îles Kiribati et je ne souhaitais pas refaire la même chose. Sans vouloir lancer l’alerte, je suis plus dans le devoir d’information, pas complètement inutile non plus.

Les gens connaissent les enjeux climatiques. Pour ma part, je préfère toujours me confronter au terrain plutôt que de me contenter de lire trois articles qui seront forcément réducteurs sur le sujet. Quand on discute avec les gens sur place, on entend des points de vue un peu différents. Globalement, la perception occidentale sur le Groenland c’est qu’il est la première victime du changement climatique dû aux pays industrialisés. Je crois que c’est vrai mais sur place, la perception est un peu différente, plus contrastée. Une partie de la population considère le changement climatique comme une opportunité. Moins de banquise augmente la période de pêche dans certaines régions et à terme, permet de gagner plus d’argent. De plus le dégel des sols permettrait un accès plus facile aux ressources minières et d’hydrocarbures. Il y a bien des enjeux d’exploitations du sol au Groenland, des projets en cours non négligeables pour l’économie de l’île. Cinq pays s’intéressent particulièrement à l’Arctique : Les Etats-Unis, la Russie, le Danemark, le Canada, la Norvège et même la Chine. Une manne financière qui sous-tend un intérêt politique important, lié à une indépendance totale du pays ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque le Groenland est une province autonome du Danemark.
CP. Comment avez-vous écrit ce livre ? Après coup, une fois rentré en France ou bien lors du voyage ou les deux ?
Julien Blanc-Gras. J’ai pris des notes sur place. Tous les soirs, je tenais mon journal de bord. Des notes souvent illisibles car écrire sur un bateau, ce n’est pas facile. La vraie écriture, c’est la réécriture et de retour à Paris, j’ai mis plusieurs mois à mettre de l’ordre dans mes brouillons. Le livre est sorti un an après ce voyage.

CP. Vous avez voyagé avec le peintre Gildas Flahaut. Aucun projet commun n’a pu naître lors de ce voyage ?
Julien Blanc-Gras. Rien de précis mais je pense que cela ne déplairait ni à l’un ni à l’autre de réaliser quelque chose ensemble. Au hasard de nos voyages et de nos pérégrinations, ça pourrait arriver.

CP. Ce qui distingue votre livre des récits de voyage habituels, c’est votre humour et votre légèreté  apparente, votre humilité qui finalement créent une heureuse proximité avec le lecteur lambda (non initié à ce type de voyage). Vous rendez « possible » le voyage aux yeux de tous. Ne redoutez-vous pas de perdre votre fraîcheur et votre spontanéité au fil des voyages ?
Julien Blanc-Gras. Je ne suis pas un aventurier, je ne cherche pas l’exploit sportif et je ne suis pas un explorateur non plus. J’ai l’esprit aventureux malgré tout, le goût du voyage, j’ai envie d’aller partout et ça c’est depuis le livre « Touriste », un récit de voyage autour du monde où j’assume justement mon statut de touriste-voyageur. Je crois que c’est ce parti pris qui crée la proximité avec le lecteur. Je n’ai pas la distance de l’écrivain-explorateur. Le voyage c’est un regard qu’on porte sur les choses. Pour ma part, je vois le monde avec humour et personnellement je trouve que les récits de voyage sont souvent trop sérieux et je pense qu’on peut aborder des sujets profonds avec une écriture légère sans les trahir.

CP. Pensez-vous avoir changé après ce voyage  davantage qu’avec un autre voyage ? Pourquoi ?
Julien Blanc-Gras. On revient toujours changé d’un voyage.  Davantage ? Non, je ne pense pas même si c’est un voyage un peu à part,  car c’était la 1ère fois que j’allais à la rencontre du froid. Sauf que si je dis la vérité, il ne faisait pas vraiment froid. En été, les températures oscillent entre 0° et 10 °, ce qui n’est pas extrême. C’était quand même la 1ère fois que je me confrontais à un univers polaire et l’effet de nouveauté fut quand même bien supérieur à un voyage en Espagne, par exemple.

Mais je pense que les voyages qui nous changent ce sont d’abord les voyages initiaux. Le 1er voyage qu’on entreprend, c’est généralement celui-là qui nous marque à vie. Mais je repartirais bien là-haut même si je suis toujours partagé entre retourner dans un endroit qui m’a vraiment plu ou découvrir un nouveau territoire. En général, je préfère toujours aller dans un nouvel endroit mais j’adorerais, malgré tout y retourner. Je n’ai vu qu’une toute petite partie du Groenland : Nuuk, Ilulissat et la baie de Disko. Même s’il reste un pays minuscule en matière d’habitants, ils ne sont que 57 000, le territoire est tellement vaste et difficile d’accès (il n’y a pas de routes) qu’il faudrait pas mal d’années pour bien le découvrir, je pense.



CP. Quels voyages depuis ? Pour quel prochain livre ?
Julien Blanc-Gras. Depuis le Groenland, je suis allé en Inde, en reportage puis au Népal où j’ai suivi une expédition de parapentistes dont l’objectif était de survoler le Machapuchare, une montagne sacrée de l’Himalaya de près de 7000 mètres jamais gravie. On n’a pas tout à fait réussi mais voler en altitude au-dessus de l’Himalaya, c’était chouette. Un vol un peu extrême mais que j’ai suivi comme passager. Une belle aventure et au final un reportage pour l’Equipe.

Au mois de mars, je suis allé un mois au Cameroun dans le cadre d’une résidence d’auteur avec l’Institut français du Cameroun. J’étais donc là pour écrire mais pas forcément sur le Cameroun mais j’ai pris des notes et je pense que je vais écrire quelque chose sur ce pays.

Sinon la semaine dernière, j’étais aux Seychelles pour un reportage plus touristique cette fois. Et c’est aussi paradisiaque qu’on le dit. En fait, je n’aime pas vraiment partir en vacances et lors de mes voyages, j’ai besoin de transmettre pour y mettre du sens. Cela ne m’intéresse pas de collectionner les destinations ; j’ai besoin de ce partage avec autrui.

Le prochain livre sortira le 4 septembre au Diable Vauvert et s’appelle « Dans le désert » et c’est un récit de voyage dans les pays du Golfe, principalement au Qatar mais aussi à Dubaï, Oman, au Bahreïn. J’y suis allé pendant un mois, en hiver, la température était donc supportable. Ce sont des pays fascinants car c’est un nouveau monde qui se construit là-bas avec des moyens illimités. Des pays à la pointe de la modernité et en même temps ultra-conservateurs où il n’est pas si facile de rencontrer des gens. Au point que je me suis demandé si j’allais réussir à entrer en contact avec la population locale. C’est d’ailleurs le fil de mon livre.

CP. Comment choisissez-vous vos destinations ? Qu’est-ce qui vous mène ?
Julien Blanc-Gras. Parfois c’est l’envie, parfois c’est un sujet, parfois c’est une opportunité professionnelle. Le voyage au Qatar, par exemple, est né d’une envie personnelle. Je suis parti avec mon sac à dos, ce qui ne se fait pas trop dans ce pays-là.

CP. L’écriture est-elle indissociable des voyages que vous entreprenez ?
Julien Blanc-Gras. Clairement oui. Je ne reviens jamais d’un voyage sans écrire quelque chose même si je ne pars que quatre jours.

J’ai suivi une formation de journaliste à Grenoble. J’ai démarré au Dauphiné Libéré à Gap (ma ville d’origine) et au bout de quelques mois, j’ai démissionné pour partir voyager sans but précis. Et j’ai bien fait car ce voyage au Mexique qui devait durer quelques semaines a duré finalement presque un an et à l’issue de ce périple, j’ai écrit mon premier roman, « Gringoland » (2005) qui raconte plus ou moins cette aventure-là. Premier roman qui, par la suite, en a amené d’autres.

CP.  (Une dernière question suggérée par mon fils de 15 ans) Vivre coupé du monde pendant quatre semaines,  sans téléphone ni internet, ç’est possible ?
Julien Blanc-Gras. Alors ! Ca fait du bien parce que la maladie de notre époque, c’est la connexion permanente et la dispersion et l’émiettement de nos cerveaux. Donc cette espèce de cure, de déconnexion numérique fait le plus grand bien pendant quelques jours. Mais comme on est tous, plus ou moins drogué, au bout d’un moment, on a tout simplement envie de prendre contact avec ses proches. D’où le chapitre sur Qeqertarsuaq, qui n’est pas la ville la plus accueillante du Groenland, où j’essaie de raconter avec humour notre difficulté pour trouver une connexion internet après quinze jours de navigation coupée des nouvelles du monde.

Personnellement, je ne pense pas qu’il faille se couper du monde, il faut au contraire se fondre au monde mais cette déconnexion temporaire a des vertus thérapeutiques, mais je ne pourrais pas vivre en ermite, loin de tout.
Bibliographie
Gringoland (2005), Diable Vauvert et Livre de poche (2015)
Comment devenir un dieu vivant (2008), Diable Vauvert et Livre de poche (2015)
Touriste (2011), Diable Vauvert et Livre de poche (2013)
Paradis (avant liquidation) (2013), Diable Vauvert et Livre de poche (2014)
Géorama Le tour du monde en 80 questions (2014) avec Vincent Brocvielle, Robert Laffont et Livre de poche (2015)
In utero (2015), Diable Vauvert et Livre de poche (2017)
Briser la glace (2016), Paulsen

le voyage au Groenland


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Briser la glace : le voyage au Groenland


Loin des expéditions scientifiques parfois austères ou périlleuses des explorateurs,  très loin du défi sportif également mais sans doute plus proche du récent film sympathique de Sébastien Bedbeder, (Le voyage au Groenland), ce récit en territoire arctique de Julien Blanc-Gras raconte une expérience humaine insolite, empreinte de fraîcheur, d’humour et de sincérité.
Sans intention héroïque ni esprit de conquête, l’auteur livre ses impressions du Groenland, à la fois intimes et parcellaires, avec une spontanéité réjouissante et une justesse de ton dont le lecteur s’empare aussitôt.
Curieux et enthousiaste, ce dernier n’a aucune difficulté alors à s’imprégner du récit, à prendre part lui-même au voyage, accessible et sans prétention. Presque démythifié mais quand même beau. « Je n’ai pas foulé la banquise […] Je n’ai pas touché la calotte polaire […] Je n’ai pas vu d’igloo. Je n’ai pas pu observer d’ours. »

Accueilli par l’intermédiaire de son éditeur sur un voilier idéal, l’Akta, appartenant à un propriétaire aventurier fortuné « qui a tout misé pour en faire une résidence artistique itinérante », l’auteur, en compagnie d’un artiste peintre, Gildas Flahault et de deux navigateurs bretons, va naviguer près des côtes dans la baie de Disko, et s’immerger une poignée de semaines dans des paysages polaires grandioses, « embrasser le réel  sans l’intermédiaire d’un écran. »
« Le dictionnaire, incapable de rendre compte d’un choc esthétique […] Pauvreté de la langue française en milieu polaire »
De ce voyage, il dépeint sa surprise, reconnaît manquer de mots pour décrire son émerveillement face aux icebergs, « de l’eau douce et du mystère »,  devant  la calotte polaire ou les aurores boréales mais parvient, l’air de rien et simplement, à captiver l’intérêt du lecteur.
Sans parti pris contemplatif ou poétique,  Julien Blanc-Gras laisse plutôt éclater sa grande sociabilité, sa soif de rencontres, et s’emploie à communiquer autour des (rares) habitants qu’il rencontre, autour des liens qui se nouent avec l’équipage.
Un texte vif et toujours nuancé qu’il enrichit, sans lourdeur, de références littéraires d’aventuriers polaires (Nicolas Dubreuil, Jean Malaurie ou Jack London) et qui permettent au lecteur curieux de prolonger le voyage.
Si ce court séjour estival (touristique) n’a pas pour objectif et pour ambition de mettre au premier plan tous les enjeux environnementaux et sociétaux actuels de cette région, il s’en fait néanmoins l’écho. Par bribes, au fur et à mesure que le voilier longe la côte ouest du Groenland, Julien Blanc-Gras observe la vie ordinaire (mais ne juge pas).
« Ils ont délaissé leurs kayaks et leurs traîneaux. Leur culture disparaît. »
Le déferlement de touristes à Ilulissat, Les barres de logements grises en béton à Nuuk, la jeunesse qui souffre d’ennui plus que du froid, la pollution océanique qui rend les baleines impropres à la consommation, le changement climatique perçu ici davantage comme une opportunité plutôt que comme une inquiétude, les gisements de minerais et le développement des compagnies minières qui pourraient, à terme, permettre à l’île de devenir un pays à part entière, affranchi de la tutelle financière danoise...
Une évocation de transformations rapides qui interpellent le lecteur, l’invitent clairement à aller plus loin, le confrontent à des préoccupations finalement moins lointaines qu’il n’y paraît mais jamais ne l’éloigne (et c’est tant mieux !) de l’étonnement et du plaisir du récit de voyage.
Eveilleur de conscience, éveilleur de rêve également, “Briser la glace” entre assurément dans la catégorie “tourisme responsable” ; idéal si vous n’êtes ni explorateur aguerri, ni sportif de l’extrême. Plutôt de type voyageur ordinaire, quoi !
Et pour compléter cette lecture, n’hésitez pas à vous procurer (chez le même éditeur) le livre réalisé par le peintre Gildas Flahaut, « Le bal des glaces », inspiré du même voyage que celui de Julien Blanc-Gras.

Pour approfondir

Editeur : Paulsen
Genre :
Total pages : 184
Traducteur :
ISBN : 9782352211730

Briser la glace

de Julien Blanc-Gras(Auteur)
chapitres
Un périple sur un voilier à travers les icebergs. Un narrateur incapable de naviguer. Des baleines paisibles. Des pêcheurs énervés. Du phoque au petit-déjeuner. Des frayeurs sur la mer. De l'or sous la terre. Des doigts gelés. Des soirées brûlantes. Un climat qui perd le Nord. Des Inuits déboussolés. Une aurore boréale. Les plus beaux paysages du monde. Le Groenland. Avec cette nouvelle aventure, l'auteur de Touriste nous embarque dans un Arctique tragi-comique.
J'achète ce livre grand format à 19.50 €

Voyages de Jack London sur le Snark

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Voyages de Jack London sur le Snark, voilier à travers les îles du Pacifique


Cette exposition est une invitation au voyage et à l’aventure, symboles de la vie et de l’œuvre de l’écrivain Jack London. Réalisée par le Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens (MAAOA), en coproduction avec la Compagnie des Indes, elle propose de revivre l’un de ses paris les plus audacieux : le voyage effectué sur son voilier, le Snark, à travers les îles du Pacifque Sud, entre 1907 et 1909. 

 
  S’articulant autour des différents archipels traversés (Hawaï, les îles Marquises, Tahiti, Fidji, Samoa, Vanuatu et les îles Salomon), elle constituera une formidable opportunité pour chaque visiteur de s’ouvrir à la diversité des cultures de cette région du monde.

Une sélection exceptionnelle d’œuvres d’art océanien sera présentée, issue des collections du MAAOA et d’autres grands musées (Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Musée Barbier-Mueller, Musée d’Aquitaine,...). Celles-ci seront exposées aux côtés d’autres objets rapportés par Jack London lui-même, montrés au public pour la première fois.

La scénographie nous plongera au cœur de cette odyssée mythique, grâce à la présentation de nombreux tirages photographiques issus de la collection personnelle de l’écrivain, mais aussi des installations audiovisuelles composées à partir d'éléments historiques et ethnographiques, ainsi que de nombreux objets d’époque (éditions originales, objets de marine) et une maquette inédite du Snark réalisée pour cette occasion.

Riche et surprenante, l’exposition Jack London dans les Mers du Sud permettra, en empruntant les pas d’un personnage hors du commun, de partager avec lui la magie de ses rencontres et de ressentir, à notre tour, le souffle de son aventure.
La croisière du Snark

En 1907, Jack London, son épouse Charmian et un équipage d’amateurs, embarquent à Oakland, Californie, à bord du Snark, un voilier de 17,5 mètres spécialement conçu pour cette aventure hors du commun. Un rêve fou, sans limites, les anime alors : un voyage de sept ans autour du monde. Marin dans l’âme depuis ses jeunes années, vécues auprès des pirates de la Baie de San Francisco ou des chasseurs de phoques en mer de Béring, Jack London entend avec le Snark marcher sur les traces de ses grands héros littéraires : Robert Louis Stevenson et Herman Melville.

Dès le début de la croisière, Jack peut mesurer les risques encourus : avant de rejoindre Hawaï, près de 4 000 kilomètres sans escale à travers l’Océan Pacifique, où tous doivent endurer de terribles tempêtes, révélant implacablement les défauts de construction du voilier et le manque de préparation de l’équipage. Après un long séjour aux îles Hawaï, le Snark met le cap vers les Marquises. Il jette l’ancre à Nuku Hiva où Jack et son épouse explorent à cheval la mythique vallée de Taïpi.

Dans les îles de la Société — Tahiti, Moorea, Raiatea, Bora Bora... — les London se lient d’amitié avec Tehei, un pêcheur polynésien qui leur apprend à pêcher sur une pirogue à balancier et qui décide de les accompagner pour le reste du voyage...
Puis, durant des mois, ce sera l’aventure de la Mélanésie, plus reculée, plus sauvage, dont la réputation cannibale des populations exerce à l’époque fascination et effroi sur le public occidental.
Aux Fidji, aux Nouvelles-Hébrides (Vanuatu) et enfin aux îles Salomon, les London assistent aux danses et cérémonies traditionnelles et s’émerveillent devant les villages coralliens. Mais ils ressentent aussi les tensions existant entre les planteurs et les populations locales, littéralement réduites en esclavage et déplacées d’île en île...
Dans les îles Salomon, la santé de l’équipage du Snark ne cesse de se dégrader. Jack, lui-même gravement atteint, comprend qu’il n’a plus d’autre choix que de mettre un terme à sa croisière autour du monde.
Ce périple lui inspirera de nombreux récits d’aventures : Les Contes des mers du sud, La Croisière du Snark, Fils du soleilL’Aventureuse...

Outre ses récits et des centaines de photographies, Jack London ramène de ces terres lointaines des objets ethnographiques qu’il gardera précieusement dans son ranch à Glen Ellen, en Californie.
Conçue par Marianne Pourtal Sourrieu, conservatrice du MAAOA, et l’auteur-réalisateur Michel Viotte, l’exposition Jack London dans les Mers du Sud, s’organise autour de grandes sections chronologiques et géographiques, correspondant aux archipels traversés par l’écrivain durant le périple du Snark.

Des objets ethnographiques à travers une sélection d’œuvres muséales 

Collectés tout au long de son voyage par Jack London lui-même, quelques-uns de ces objets traditionnels, conservés actuellement en Californie, sont présentés au public pour la première fois.

Une sélection d’œuvres issues des collections du MAAOA et de grands musées spécialisés dans les Arts Premiers (musée du quai Branly-Jacques Chirac, musée Barbier-Mueller, musée d’Aquitaine,...) jalonne l’exposition. Ils témoignent de la vie quotidienne, de l’habitat, des croyances, du savoir-faire et du raffinement des différentes populations rencontrées.
Collectées au cours du XIXe siècle, ces œuvres démontrent aujourd’hui l’excellence artistique et la diversité des populations du Pacifique Sud. À l’image de Jack London, navigateurs, savants ou simples curieux sont partis explorer ces terres lointaines, à la découverte de leurs habitants, et en ont ramené des objets rares, symboles de prestige et de puissance. 
Des objets personnels de l’écrivain qui l’ont accompagné tout au long de ce périple complètent également l’exposition.

Les photos prises et des écrits de Jack London 

En résonance avec les objets et les œuvres ethnographiques, des photos prises par Jack London lors du voyage nous plongent en immersion au cœur de l’expédition : vie à bord, rites observés, portraits...
Dans la scénographie sont reproduites des citations de Jack London, empruntées à ses différents récits, apportant à chaque fois un éclairage personnel de leur auteur. Des extraits du Journal de bord du Snark, rédigé par Charmian London, sont également proposés.

Jack London : l'appel de l'aventure – Nane ; Jean-Luc Vezinet – Editions Oskar – 9791021405516 – 13,95 €

Sylvain Tesson, nouvel Ulysse pour un documentaire d'Arte


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Sylvain Tesson, nouvel Ulysse pour un documentaire d'Arte


L'écrivain-voyageur Sylvain Tesson se lance dans un nouveau périple à l'occasion d'une collaboration avec Arte : le tournage du documentaire Dans le sillage d’Ulysse avec Sylvain Tesson. L'auteur de Sur les chemins noirs partira de Marseille, en voilier, pour refaire le voyage d'Ulysse en Méditerranée : l'admirateur d'Homère voguera ainsi sur les traces de son héros.

Aujourd’hui, jeudi 9 mai débute pour ARTE le tournage d’une nouvelle série documentaire, Dans le sillage d’Ulysse avec Sylvain Tesson. Grand spécialiste et admirateur d’Homère, l’écrivain part en voilier de Marseille pour sillonner la Méditerranée afin d’accomplir à son tour le voyage d’Ulysse.
Des rivages de Sicile jusqu’aux côtes turques, en passant par l’Italie, l’Albanie et la Grèce, Sylvain Tesson convoquera la poésie d’Homère et tous les Dieux de l’Olympe au service d’une aventure intemporelle au cours de laquelle il rencontrera les habitants de ces rivages.
En livrant au public sa vision très personnelle de l’Odyssée, l’écrivain nous emmène à la découverte des cultures et des lieux marqués par ce récit épique, toujours aussi présent dans notre culture européenne. Pivot de la coopération culturelle et économique entre les deux rives de la Méditerranée, c’est sur le Vieux-Port de Marseille que Sylvain Tesson embarquera pour sa grande Odyssée.
Dans le sillage d’Ulysse avec Sylvain Tesson sera découpé en 5 épisodes de 26 minutes, réalisés par Christophe Raylat et produits par ARTE France et Lato Sensu Productions. Ushuaia TV et TV5 Monde participeront aussi à l'aventure.
6 semaines de tournage sont prévues. Pour la diffusion, il faudra attendre 2020, sur Arte.

Marianne Rötig – Cargo


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Cargo, humanité de haute mer


RÉCIT FRANCOPHONE - Embarquée sept jours à bord d’un cargo, Marianne Rötig livre un carnet de bord dont la poésie, croisant vers l’introspection, offre aussi un regard plein d’humanité sur la petite société des hommes en mer.

  Une jeune femme part sur un cargo. Sept jours entre Le Havre et l’île de Malte. C’est long et court à la fois. Il n’y a que des hommes à bord : l’équipage est composé des officiers et de Philippins, pour les tâches qui n’incombent pas à la navigation. Un prologue et un épilogue encadrent sept chapitres qui suivent le rythme du voyage et les jours de la semaine, marqués du sceau des planètes auxquelles ils se réfèrent. Jupiter ouvre la marche, Mercure la clôt.
  Ce récit, publié fort à propos dans la collection « Le Sentiment géographique » chez Gallimard, se construit sur le voyage qu’a effectivement entrepris l’auteure. Cela dit, comme le note joliment Emmanuel Ruben dans Terminus Schengen, Marianne Rötig « n’[est] pas un écrivain voyageur mais un écrivain voyagé».
  Elle avait en effet prévu d’écrire un texte à l’issue du voyage. Il n’en fut rien. Les notes prises au jour le jour, le voyage les a rapidement transformées en écriture. La durée de la traversée est aussi le temps de l’écriture ; ainsi, le journal de bord s’est naturellement mué en objet littéraire : une réflexion tour à tour sociologique, poétique, toujours émerveillée et baignée d’humanité, sur la petite société qui vit au cœur de ce porte-containers.
  Le regard est à la dérive mais il ne perd pas une miette des relations parfaitement codifiées et respectées entre les hommes de l’équipage, « car il y a le paradoxe de l’immensité du bateau et de la proximité des corps, cette violence-là », dit la narratrice. Observation spéculaire qui conduit à une saine introspection.
La destination tient du hasard. La taille du bateau également. Ma seule demande a été d’avoir une place dans le premier cargo au départ du Havre. Qu’est-ce qui, alors, ne tiendrait pas du hasard ? La question a tourné comme un vautour derrière mes yeux toutes ces semaines. Peu avant le départ, un type est assis devant moi :
– Combien de temps, ton voyage ?
– Pas très long. Sept jours.
– C’est le temps qu’il a fallu pour la création du monde
    Écrivaine voyagée, Marianne Rötig ? À lire cet appel à Mercure, le jour de son arrivée à La Valette, nous comprenons que le voyage fut aussi intérieur et qu’il a profondément modifié la géographie de son rapport au monde : « Je veux la mer toujours dans le corps, le mouvement sans répit de la mer en moi, je veux le mouvement, le mouvement infini. Mercure, j’ai le mal de terre, la vague dans l’âme dans l’œil dans le poumon dans les pieds. »
Dominique Panchèvre
   
  Marianne Rötig – Cargo – Gallimard – 9782072821271 — 12.50 €

Pour approfondir

Editeur : Gallimard
Genre :
Total pages : 134
Traducteur :
ISBN : 9782072821271

Mer blanche de Roy Jacobsen


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Par-delà le cercle polaire, l’amour sans les mots




ROMAN ETRANGER - Sur l'île nordique de Barrøy, au-delà du cercle polaire, les mots se font rares. On les tient serrés contre soi comme des vêtements que le gel durcit. Mais les émotions jaillissent, vives, coupantes.

Dans la Norvège occupée de novembre 1944, avec ses villes bombardées et brûlées, ses réfugiés errant de port en port, ses trafics, la guerre vient s'échouer jusque sur les rochers de cette petite île perdue, près des Lofoten.
  Elle a été délaissée par ses habitants, la famille de Hans Barrøy, dont Roy Jacobsen a commencé à nous conter l'existence dans « Les Invisibles » (1997, sorti en Folio ce printemps, NDLR). Une existence dure, une vie de peu, dominée par la force d'une nature souvent violente et imprévisible, mais aussi belle et généreuse lorsqu'on parvient à trouver des accommodements avec elle pour pêcher du poisson, cueillir des baies ou récolter dans les nids des eiders (canards sauvages) le duvet destiné aux couettes.
  Nous retrouvons Ingrid, la dernière à s'être résolue à partir. Elle a 35 ans et travaille des heures durant à saler du poisson. Un matin, elle brûle ses vêtements - geste qu'elle refera souvent à des moments charnières - et regagne toute seule son île à la rame. Elle rouvre sa maison, reprend le mode de vie de sa famille de pêcheurs-paysans, va poser ses filets.
  Jusqu'au naufrage près de son île d'un navire transportant des soldats allemands et des prisonniers russes.
  Les vagues lui apportent un amoureux magnifique, un jeune Russe blessé qu'elle soigne et qui lui écrit des mots mystérieux dans sa langue. Elles transportent aussi des cadavres et des ennemis et finissent par emporter Ingrid dans de terribles tribulations avant de la ramener à nouveau à Barrøy après une année épouvantable. Pour y faire renaître la vie.
Ce roman norvégien âpre et elliptique, auquel nous avons accès grâce à la traduction d'Alain Gnaedig, nous donne à ressentir de l'intérieur cette existence insulaire si fragile, tissée de solidarité et de solitude, ballotée au gré des vents, de la mer et des autres humains. Il dresse aussi un splendide portrait de la fruste Ingrid, cette « femme remarquable », « mon enfant de la nature », comme dit le médecin qui la soigne un temps et tient à se faire photographier avec elle en studio sur un fond de verger en fleurs, au creux de l'hiver et de la guerre.
Ingrid conduit sa barque seule, invite dans son lit ceux qu'elle choisit, s'isole pour donner naissance au fond d'un canot. Elle panse les blessures du rescapé du naufrage, couvre les cadavres pour empêcher les aigles de les dévorer, recueille une adolescente qui va mourir et s'emploie à faire revenir tous ses proches éparpillés par la guerre.
  Dans son île où les humains remplacent les chevaux pour s'atteler à la charrue, la mémoire n’est pas une prison mais sert de passerelle. Comme ces trois coffres, venus du père, du grand-père et de l'arrière-grand-père, qu'elle donne en viatique à de jeunes réfugiés repartant après avoir bâti de nouvelles maisons.
  « Vivre sur une île, c'est chercher », écrit Jacobsen. Chercher peut-être le sens d’une existence, équation pleine d’inconnues et d’éléments disparates auxquels le temps pourrait finir par donner une forme.
  Comme les écailles sur le dos d'un poisson.
Laure Amblesec
Roy Jacobsen, trad. norvégien Alain Gnaedig – Mer blanche – Gallimard – 9782072785580 – 21 €
Roy Jacobsen, trad. norvégien Alain Gnaedig – Les invisibles – Folio – 9782072823022 – 7.40 €

Pour approfondir

Editeur : Gallimard
Genre :
Total pages : 260
Traducteur : alain gnaedig
ISBN : 9782072785580

Mer blanche

de Roy Jacobsen
chapitres
"Barrøy est une terre du silence, les adultes n'expliquent pas aux enfants ce qu'ils doivent faire, ils le leur montrent." Novembre 1944. Le MS Rigel, qui transporte des troupes allemandes et des prisonniers russes, est coulé au nord de la Norvège. Des milliers de soldats périssent, mais quelques naufragés survivent. L'un d'eux, échoué sur les rives de Barrøy, va être soigné par Ingrid.
J'achète ce livre grand format à 21 €

Conquistador et liberté


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Conquistador et liberté : “Inès mon âme” d'Isabel Allende, adapté en série




Le roman d’Isabel Allende, Inés del alma mía (Inès de mon âme, paru chez Grasset en 2008 dans une traduction de Nelly et Alex Lhermillier) sera adapté en une série de huit épisodes à travers une ambitieuse coproduction. RTVE, Chilevisión et Boomerang TV sont ainsi réunis avec un budget de 8 millions €, pour des séquences de 50 minutes.
Conquistadores

Inés Suárez, jeune femme audacieuse d’Estrémadure, Communauté autonome espagnole, à la frontière du Portugal, décide de partir vers le Nouveau Monde. Elle recherche son mari, perdu de l’autre côté de l’Atlantique, la tête pleine de rêve d’aventures — rêve presque inimaginable pour une femme de son époque.
Elle est couturière, vivant au milieu du XVIe siècle : la conquête du Nouveau Monde lui est interdite, ou presque.
Parvenue dans les Indes, elle découvrira le véritable amour de sa vie, le conquistador espagnol Pedro de Valdivia — qui la portera à travers les siècles dans un Chili lointain et inconnu. Puis, il y aura Rodrigo de Quiroga, un autre homme apportant une nuance d’amour au milieu des violences.
Le tournage doit débuter au mois de septembre, en Estrémadure, puis en Andalousie, avant de partir, à l’automne, pour des tournages en décor naturel au Chili et au Pérou. 71 journées de production sont prévues, d’abord dans le désert d’Atacama, à Santiago du Chili, Valdivia ou encore Araucania. Par la suite, départ pour Ollantaytambo, Chinchero, Pikillacta et Pisac…
Le rôle principal a été confié à l’actrice Elena Rivera, et les épisodes seront disponibles tout d’abord sur TVE et Chilevisón, puis sur Amazon Prime Vidéo pour l’Espagne, les États unis et l’Amérique latine (sauf le Chili, sacrément ballot…). 
  « Les femmes avec du tempérament mettent en danger le déséquilibre du monde, que favorisent les hommes. Pour cette raison, ils les harcèlent et tentent de les réduire en silence. Mais elles sont comme des cafards : on en écrase une et il en reste plus encore », explique l’autrice avec un certain sens de l’image.
À la conquête du Chili, fuyant Franco
Isabel Allende vient également de publier un nouveau roman, Largo pétalo de mar, publié par Plaza & Janés. L’autrice chilienne nous embarque cette fois sur le Winnipeg, paquebot français arrivé en septembre 1939 dans le port chilien de Valparaíso. À l’intérieur se trouvaient plus de 2000 réfugiés espagnols, fuyant les troupes de Franco, victorieux alors de la guerre civile.
Parmi les passagers, des parias, un médecin catalan et un pianiste qui a quitté Barcelone. Un ouvrage à l’image du siècle et de la présidence de Trump, reconnaît-elle : « Bien que les États-Unis soient un pays d’immigrants, à chaque nouvelle vague, il y a eu un rejet. » Or, son propre grand-père avait connu certains des réfugiés espagnols qui historiquement arrivèrent avec ce paquebot. Une autre histoire de famille…
Le navire avait été affrété par Pablo Neruda, qui décrivait justement Valparaíso comme « un pétale de mer et de neige », expression partiellement reprise pour le titre du livre. La reconstruction de leur vie pouvait commencer… jusqu’à ce que se présente un autre dictateur, Augusto Pinochet. Un cercle historique vicieux, qu’elle-même avait dû fuir, en s’exilant avant l’arrivée de la dictature de Pinochet. 

Un bateau-bibliothèque


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Confisqué à la mafia, ce navire de passeurs devient un bateau-bibliothèque



Le navire se nomme Kalimchè, un bateau à voile qui fut confisqué à la criminalité organisée des Pouilles, la Sacra Corona Unita. Après une année passée dans le port d’Otrante (Italie), il a été restauré par huit mineurs, dans le cadre de leurs travaux d’intérêt général, sortant de la prison où ils étaient détenus. Et désormais, Kalimchè sert de bibliothèque pour tous.

Le projet nommé Il Cantiere d’Amare (Le chantier d'amour) a été mis en place par l’association de promotion sociale Marcobaleno, située à Bari. Elle a obtenu le prix de l’édition 2018 du concours Orrizonti solidali (Horizons solidaires), soutenu par la Fondation Megamark. Grâce à une subvention de 90.000 €, accordée par le ministère de la Justice, cette mue de Kalimchè a été permise dans le cadre d’une réhabilitation des jeunes en situation difficile.
En collaboration avec les associations Libera de don Luigi Ciotti et Marcobaleno située à Bari la mission est d’offrir une seconde chance à des mineurs condamnés pour différents larcins. Politiquement, cet aménagement du navire visait également à démontrer que les partenariats publics-privés peuvent déboucher sur de grandes réalisations.
Une perspective qui impliquait également le Centre de justice pour mineurs des Pouilles, les services de protections sociales de la Commune de Bari et la région Basilicate, voisine de celle des Pouilles. Les 8 jeunes concernés par le programme ont été accompagnés par les techniciens du chantier naval de Mar di Levante, dans le port de Bari.
La fin du trafic d'être humains
Et en effet, Kalimchè, navire qui servait aux passeurs — traversant de Bodrum (Turquie) jusqu’à Otrante, est devenu une bibliothèque sur l’eau, ouverte à l’ensemble de la communauté : enfants et séniors pourront s’y retrouver, sur un bateau changé en promoteur de la culture. 
L’idée d’un bibliobateau implique surtout que le navire ne restera pas arrimé bien longtemps : la mairie et les partenaires prévoient des rencontres et lectures, le long de la côte de Bari. Une bibliothèque itinérante, qui transportera le plaisir de la lecture de ville en ville. Les différentes activités seront coordonnées avec le centre social de la ville, dans le cadre du Bari Social Book (en anglais, si, si).
Un espoir, symbole de rédemption et de légalité
« Ce sera la première bibliothèque construite sur l’eau, ouverte à toute la communauté, où enfants, adultes, et personnes âgées pourront se transformer et devenir les protagonistes d’une expérience passionnante », indiquait Francesca Bottalico, conseillère municipale pour le bien-être social.
Pour Don Luigi Ciotti, président de l’association Libera, « ce projet représente un espoir », souhaitant qu’il « puisse devenir un exemple à suivre pour d’autres initiatives dans la région ».
Pour Giuseppe Centomani, directeur du Centro per la Giustizia Minorile di Bari, « Kalimchè incarnera désormais un symbole de rédemption et de légalité ». Et la valeur symbolique de cette transformation, de la traite d’êtres d’humains à passeur de culture, n’échappe à personne. De la mer servant aux criminels à la navigation susceptible de ramener des jeunes sur le droit chemin, que les vents soient propices à Kalimchè… 


Corto Maltese s'aventure dans le Pacifique


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“Le jour de Tarowean”




En octobre 2015, Juan Diaz Canales (scénario) et Ruben Pellejero (dessin) se sont emparés de l’oeuvre d’Hugo Pratt. Depuis, le fils d’un marin de Cornouailles et de la Niña de Gibraltar a repris sa trépidante existence. Après une rencontre avec Jack London dans le nord canadien, et une excursion dans les jungles d’Afrique équatoriale, retour dans le Pacifique.

Corto par Hugo Pratt
Ce Pacifique, Corto le connaît pour l’avoir abordé, attaché à une croix, laissé à la dérive entre les îles Fidji et les îles Marshall. C’était dans La ballade de la mer salée, toute première aventure de Corto, à la découverte de la mystérieuse île (imaginaire) d’Escondida.
Tasmanie, automne 1912. Corto et Raspoutine libèrent un jeune homme, Calaboose, emprisonné sur une île abandonnée. Ils l’emmènent avec eux à travers l’océan indien jusqu’à Bornéo, où ils rencontrent le sultan de Sarawak, potentat anglais, qui règne sur l’exploitation de l’hévéa par les indigènes.
Cette ressource naturelle est indispensable à l’Empire britannique et la révolte qui gronde chez les Dayaks menace les intérêts de la couronne. Corto se retrouve à jouer les médiateurs et à prendre sous son aile une jeune paralytique, Ratu « la sirène », dont Calaboose tombe amoureux.
Corto et ses amis prennent ensuite la direction du Paci que Sud et de l’île d’Escondida, pour y retrouver le commanditaire de leur mission, le mystérieux Moine, qui a une idée bien précise quant à l’avenir du couple de tourtereaux...
Bref, une nouvelle aventure qui fleure bon les embruns du Pacifique, dans la droite ligne du premier épisode mythique de la série, La Ballade de la mer salée. 
Petite note sur le titre : Le jour de Tarowean, est un nom qui désigne le 1er novembre chez les marins des îles Fidji et signifie jour des surprises. Une autre connexion plus étroite encore avec La Ballade, puisqu’elle s’ouvre avec une prosopopée, où l’océan Pacifique évoque ses colères de la veille, et les îles qu’il a ravagées.
« Oui, celle que vous voyez ici, je ne sais pas comment elle a pu s’en sortir. C’est peut-être parce que le capitaine Raspoutine connaît son métier et que ses marins viennent des îles Fidji. Ou bien parce qu’ils ont fait un pacte avec le Diable. Mais cela n’a pas d’importance, aujourd’hui c’est Tarowean, le jour des surprises, le jour de tous les Saints, le 1er novembre 1913. »
[à paraître 6/11] Juan Díaz Canales, Ruben Pellejero, d’après l’oeuvre de Hugo Pratt, trad. Anne-Marie Ruiz – Le jour de Tarowean – Casterman – 9782203185890 – 16 €
Ndlr : Une édition luxe, sous étui, avec illustrations en noir et couleurs, sera également proposée pour 150 €, le 27/11.

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