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Corto Maltese au coeur des ténèbres

Corto Maltese a toujours été cela : une histoire d’hommes (et de femmes…) ballotés par l’Histoire au sein de laquelle le marin vénitien a toujours gardé une distance prudente et quelquefois ironique avec une élégance du personnage qui répondait à celle du trait. Dans ce nouvel album, le deuxième depuis la reprise, Juan Diaz Canales et Pellejero réussissent plutôt bien l’exercice.
La force d’Hugo Pratt, c’est que ses histoires font rêver. Une fois le voyage terminé, l’esprit vagabonde et prolonge la sensation passée dans une espèce de plaisir cotonneux où l’imagination s’étire. La reprise de Corto Maltese par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero prospère sur cette indolence : le pinceau de Pellejero, faut-il le nier ?, perpétue avec fidélité l’univers de Corto Maltese. Il rend bien le charme propre à la série, qui s’attarde sur des icônes surannées d’un temps où l’aventure était possible, d’un siècle qui fut capable d’enfanter de concert les esprits les plus brillants et les plus grands crimes.
Corto Maltese au coeur des ténèbres
Corto Maltese T. 14 : Equatoria – Par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero - Casterman
Le récit de Canales est prattien comme il se doit : une femme aussi séduisante que mystérieuse, accompagnée d’une duègne enjouée, engage le marin pour retrouver son père perdu aux sources du Nil. C’est Philip Marlowe au Cœur des ténèbres, en quelque sorte. Comme chez Pratt, on croise sur le chemin des badernes aussi accrochées à leurs principes qu’à leurs décorations, perdues sur terre comme au ciel, et qui affrontent avec crânerie dans un dernier baroud d’honneur les forces magiques et forcément obscures d’un continent inconnu. Comme chez Hugo Pratt, Corto comprend tout mais ne contrôle rien, laissant chacun des protagonistes accomplir son destin.
Corto Maltese T. 14 : Equatoria – Par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero - Casterman
On a du plaisir à voir les auteurs jouer avec les codes maltésiens avec plus ou moins de dextérité. Mais Pellejero ne sera jamais Pratt, et c’est tant mieux. On retrouve peu à peu son trait dans une transition douce, certaines séquences rappellant des souvenirs de lecture enfouis comme ces Mémoires de Mr Griffaton qu’il signa jadis avec Jorge Zentner ou encore certaines pages de Dieter Lumpen déjà impressionnées par le maître vénitien.
Corto Maltese T. 14 : Equatoria – Par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero - Casterman
On conseillera à Canales de moins s’engager dans la course au Name Dropping : Le Prêtre Jean, Lord Byron, Winston Churchill, Constantin Cavafy, Henri de Monfreid, les juifs sionistes de Namibie… Chacun de ces protagonistes mériterait un album entier ! Canales pense valoriser Corto en lui faisant rencontrer des personnages historiques, mais il oublie d’évoquer le plus important aux yeux du lecteur : en quoi leur rencontre avec Corto a-t-elle pu changer l’histoire ?
Idem pour Pellejero qui pense rendre hommage aux zèbres d’Hugo Pratt en ouvrant l’album sur les taches de la girafe de Lord Byron. Ces procédés sont trop connotés, pour tout dire grossiers, ils manquent d’élégance.
Il leur manque le détachement singulier de Corto qui transforme avec humour et charme les tragédies de son temps en de baroques comédies.

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