Le
chavirement du bateau qui assurait la liaison entre Dakar et Ziguinchor
avait fait plus de 2 000 victimes en 2002. Quinze après, le volet
judiciaire est au point mort.
Le soleil décline sur la place du Souvenir à Dakar tandis qu’une foule se masse dans une salle attenante. Des Sénégalais, des Français qui, ce 26 septembre 2017, sont venus saluer la mémoire de leurs proches décédés quinze ans plus tôt dans la pire catastrophe maritime de l’ère moderne : le naufrage du Joola, faisant 1 864 morts selon le gouvernement sénégalais, plus de 2 000 selon les associations des familles de victimes qui déplorent les nombreux manquements des autorités dans cette affaire.
« Il y a eu trois naufrages, lance Alain Verschatse président de l’association des familles des victimes du Joola en France. Le premier est d’avoir laissé monter 2 000 passagers alors que la capacité maximale était de 550 personnes. Le deuxième, c’est que rien n’a été fait pour sauver les victimes : les premiers secours sont arrivés dix-huit heures après le drame. Le troisième, c’est le déni de justice que nous subissons en France. » Depuis 2003, le père de Claire, 20 ans, décédée dans le naufrage, se rend comme les proches des 19 victimes françaises, de tribunal en tribunal afin de poursuivre les responsables de cette catastrophe.Un non-lieu en France
Si l’affaire a été classée sans suite dès 2003 par le parquet sénégalais avec pour seul responsable le commandant de bord du Joola disparu avec son navire, en France la procédure se poursuit. La même année, une information judiciaire était ouverte avec les chefs d’« homicides involontaires par violation délibérée des règles de prudence ou de sécurité », « blessures involontaires par violation délibérée des règles de prudence ou de sécurité » et « non-assistance à personne en péril ». En 2008, neuf mandats d’arrêt internationaux ont été délivrés à l’encontre de membres du gouvernement sénégalais, notamment l’ex-premier ministre sénégalais Mame Madior Boye et l’ex-ministre des forces armées Youba Sambou.Mais, le 28 octobre 2014, les juges d’instruction français ont ordonné un non-lieu. Alain Verschatse y voit une décision politique visant l’atténuation des risques de crise diplomatique entre les deux pays. « Nicolas Sarkozy, président à l’époque, avait remercié le juge Jean-Noël Wilfrid qui avait émis les mandats, avance-t-il. On a appris ensuite que le parquet a volontairement réduit ces mandats, qui étaient au départ internationaux, à l’espace Schengen. »
Dans la salle de la place du souvenir, la cérémonie d’hommage titrée « Joola : amnésie ou banalisation ? », débute avec une vidéo présentant les photos des victimes accompagnées de la musique du film Titanic. Pourtant, le naufrage du navire britannique a été moins meurtrier que celui du Joola, qui faisait la liaison entre Dakar et Ziguinchor. « Si on en parle moins que le Titanic, c’est parce que c’est 2 000 victimes africaines alors on s’en fiche, tance Alain Verschatse. Ici, on banalise. »
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Même colère du côté des proches des victimes sénégalaises. Idrissa
Diallo, père de trois victimes et représentant du comité d’initiative
pour l’érection du musée mémorial du Joola, évoque les dix-neuf
violations aux règles régissant la tenue du navire, révélées par l’enquête française sur les causes techniques et les défaillances humaines. Sont en cause dans le rapport, « le chargement aberrant, l’effet inclinant du vent et du roulis, l’absence de fermeture des hublots », comme des « carences dans le dispositif des secours ». « Ce que je recherche c’est la vérité, clame-t-il. Aucune
enquête judiciaire n’a été ouverte et quinze ans après le gouvernement
sénégalais n’a toujours pas produit de liste officielle avec les noms
des victimes. » Autre doléance, que l’épave soit renflouée. « Il y a encore au moins un millier de corps enfermés, poursuit-il. Le bateau a beaucoup de choses à raconter. Je pense qu’ils refusent de le sortir car c’est le corps du délit, celui qui révélera leurs mensonges, sur le nombre de victimes notamment. »« La Françafrique, il faut bien que ça s’arrête ! »
Si le nombre de victimes directes oscille selon les parties, il en est de même pour les victimes indirectes, les proches, principalement les orphelins que la catastrophe a laissés derrière elle. Ils sont plus de 1 900, selon Idrissa Diallo, dont seuls 800 ont été pris en charge par l’Etat comme pupilles de la nation : « Chaque famille reconnue par l’Etat a reçu 10 millions de francs CFA (15 250 euros) en indemnisation, même si certaines ont refusé, jugeant qu’on ne remplace pas une vie humaine par de l’argent. » Mais de nombreux orphelins ont été laissés sur le carreau : ceux qui avaient 18 ans lors du naufrage n’ont pas été pris en charge. C’est le cas d’Eli Diatta qui a dû travailler très tôt pour aider sa mère après le décès de son père. « J’aurais espéré que l’Etat nous fournisse au moins un accompagnement psychologique, confie-t-il, mais non rien… Regardez, pas un seul officiel n’est présent aujourd’hui à la cérémonie. Il n’y a aucun soutien moral. »Après le dépôt des gerbes de fleurs commémoratives, les 200 personnes présentes se sont dispersées. « Aujourd’hui, on ne veut plus que la justice française s’abrite derrière ses relations diplomatiques avec le Sénégal, affirme Alain Verschatse. La Françafrique, il faut bien qu’un jour ça s’arrête ! Les intérêts de la France à préserver on comprend, mais il y a eu 2 000 victimes ! » En 2018, l’association des victimes françaises du Joola ira en cassation. Et peu importe le résultat, « nous continuerons notre combat, jusqu’à la commission européenne des droits de l’homme, lance-t-il. En espérant qu’il n’y aura pas de relations diplomatiques France-Sénégal qui interféreront cette fois. »
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