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L’incroyable histoire du
catamaran, depuis les origines polynésiennes jusqu’aux AC72 de
l’America. Premier volet : les pirogues océaniennes. Des bijoux de
souplesse et de légèreté qui naviguaient vite et loin !
par François Chevalier
Avant de traiter des fabuleuses machines ailées de la 34e America’s Cup, tirons donc quelques bords dans l’Histoire, remontons aux origines du multicoque – aux pirogues océaniennes. Ce sont – déjà !– des catamarans, des trimarans et des praos. Ce sont des voiliers rapides, qui savent remonter au près et filer au portant. Oui, comme s’exclame Pigafetta, ce sont vraiment «des objets volants !»
Pour comprendre l’évolution de ces bateaux et leur répartition géographique, de l’océan Indien (Madagascar) aux rivages du continent américain, jetons un œil sur la carte du peuplement de l’ensemble de ces îles.
Ces incroyables mouvements migratoires se sont effectués en plusieurs étapes successives, s'étalant sur… plus de 50 000 ans !
La première vague de peuplement de l’Indonésie, de la Nouvelle-Guinée et de l’Australie a lieu lors de la dernière glaciation. Les peuples Sunda et Sahul profitent de la baisse du niveau de la mer de 150 mètres pour progresser vers l’Est et le Sud, entre 50 000 à 35 000 avant notre ère (en vert sur la carte).
Puis, vers l'an 4 000 avant JC, des peuples venues par la mer de Taïwan se mêlent à eux. À partir de 1 600 avant JC, cette population se disperse en Micronésie (îles Mariannes, îles Marshall…), puis en Mélanésie et jusqu'en Polynésie occidentale (Fidji, Tonga, Samoa) vers l'an 1000 avant JC (en bleu sur la carte).
Il faut attendre cinq siècles pour que les Polynésiens reprennent leurs migrations vers Tahiti et les Marquises. A partir de ces archipels débute une nouvelle vague de migration – on estime ainsi le peuplement des îles Hawaii et de l'île de Pâques aux alentours de l'an 400 après JC. La migration à travers l’océan Indien touche Madagascar et les îles alentour vers l’an 600, alors que la Nouvelle-Zélande est atteinte autour de 700 après JC (en orange sur la carte).
Toutes ces migrations se sont faites en bateau. En multicoque. Et, dès les premiers tours du monde occidentaux, les explorateurs sont subjugués par la vitesse des embarcations rencontrées dans le Pacifique.
Si Pigafetta ne s’attarde pas à une description détaillée des pirogues rencontrées aux îles des Larrons, Thomas Cavendish, en 1588, est impressionné par leur nombre. En 1616, Jacob Le Maire illustre un catamaran des îles Tonga de façon assez pittoresque. Puis Dampier, en 1686, en mesure la vitesse, affirmant : «Ces pirogues sont les bateaux les plus rapides du monde, établissant des moyennes de 18 nœuds sur plusieurs centaines de milles !»
A travers six exemples de pirogues océaniennes, nous allons voir la richesse, la diversité et l’inventivité de ces peuples de la mer.
1. Prao des îles Mariannes
L’exemple choisi est celui du relevé de Brett, d’une douzaine de mètres de long, qui est constitué d’une coque formée d’un tronc creusé, de deux planches latérales cousues et de deux étraves symétriques, également cousues. Le mât est maintenu par un contrefort qui prend appui sur les raidisseurs des bras du flotteur au vent, et tenu par un étai fixé au même endroit.
Lors des virements de bord, la voile est déplacée d’avant en arrière en balançant le mât, et la pagaie sur l’autre étrave devient gouvernail. La coque pouvait être composée de plusieurs morceaux et de planches latérales superposées ; une plate-forme sur les bras et une autre en travers pouvait aussi compléter le voilier en fonction de son programme de navigation.
Notez la dissymétrie des coques, favorable à une meilleure remontée au vent ; le flotteur était maintenu par deux piquets enfoncé dans chaque bras, tendus par des cordages croisés. L’amiral Anson précise que ces pirogues «sont capables de serrer le vent de beaucoup plus près que tout autre navire connu», remarque étonnante pour des voiliers qui datent de plus de 3 000 ans !
2 & 3. Praos de l’archipel Bismarck.
4. Catamaran des Fidji
A l’image de nos multicoques modernes, les étraves sont verticales. Sur les catamarans de grande taille, l’espace entre les coques était recouvert d’un pont. Le voilier est dirigé par deux gouvernails, un sur chaque coque. La voilure triangulaire est posée sur la coque sous le vent, l’autre sert de balancier. Pour virer de bord, la voile est carguée sur la vergue haute, le mât légèrement relevé et la voilure portée sur l’autre côté.
5. Catamaran des Tonga
De grande taille (de 15 à 25 mètres), ces navires recevaient jusqu’à 150 passagers, et embarquaient une petite pirogue en guise d’annexe ! On sait qu’ils se rendaient en Mélanésie et en Micronésie. La plate-forme est posée sur des fargues et quelques supports étayés. Deux longues écoutilles permettent d’accéder au fond des coques et d’écoper l’eau qui ne manque pas d’envahir les fonds dès que la mer est formée ou que le voilier avance à grande vitesse.
Généralement, le pont est équipé d’une hutte demi-circulaire et d’un foyer sur l’avant, au pied du mât, pour la cuisine. Le mât est assez court, muni d’une fourche ; il est maintenu par deux outriggers latéraux rappelant le gréement de nos 60 pieds IMOCA à mât-aile. Pour de courts louvoyages, la voile vient naturellement contre le mât, comme sur les voiles latines, «à la mauvaise main», mais pour des bords prolongés, le mât bascule à la verticale afin de faire passer la voile sous le vent. Les deux avirons sont toujours positionnés sous le vent.
6. Trimaran de Zanzibar
Cette pirogue à double balancier est équipée de flotteurs dont les fonds plats sont inclinés vers l’extérieur, faisant office de ski et de foils ! La voile est maintenue sur un mât court, dans l’axe du bateau, et passe sur l’autre amure au louvoyage. D’une longueur de 7 à 9 mètres, ces engins rivaliseraient de vitesse avec nos modernes multicoques.
Tous ces «bâtiments légers», comme les dénomment les premiers explorateurs européens, embarquaient pas mal d’eau et un équipier était chargé d’écoper, que ce soit pendant la pêche ou en voyage. La vitesse était à ce prix !
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