par Erwan Chartier-Le Floch – À
Carantec, le chantier Sibiril, devenu Sibiril technologies en 2011,
s’est spécialisé dans les navires robustes et fiables, notamment les
pilotines et les canots de sauvetage. En perpétuelle recherche
d’innovation, il n’oublie pas son histoire séculaire, particulièrement
marquée par la Résistance.
L’article publié dans la revue Le Chasse-Marée bénéficie d’une iconographie enrichie et d’encadrés supplémentaires.
Selon
Jean-Pierre Le Goff, son propriétaire actuel, l’histoire du chantier
naval Sibiril de Carantec aurait commencé à Pors Trez dès 1790. « Cela
en fait le plus ancien chantier français encore en activité »,
affirme-t-il, non sans fierté. L’une des premières mentions de son existence remonte, en effet, au début
de la Révolution française. Le chantier aurait été fondé par un groupe
de sculpteurs et de charpentiers désœuvrés faute de commandes de la
noblesse et du clergé. Avec la disparition de l’évêché de
Saint-Pol-de-Léon et l’émigration des aristocrates, les artisans locaux
ont perdu leurs marchés traditionnels, comme la réfection d’églises. Ils
décident alors de se reconvertir dans la construction de barques de
pêche. Au demeurant, sous l’Ancien Régime, les passerelles étaient déjà
nombreuses entre les métiers du bois, beaucoup de charpentiers ou de
menuisiers de marine réalisant aussi des meubles ou des charpentes de
bâtiments en périodes creuses.
Quelques décennies plus tard, à la fin du xixe siècle,
la construction navale se développe fortement tout autour de la baie de
Morlaix. L’activité de pêche et de cabotage est intense, tout comme la
récolte du goémon. Alain Sibiril s’installe au Varquez en 1890. Il
dirige son entreprise jusqu’en 1927, quand son fils Ernest prend le
relais. Le chantier trouve alors de nouveaux débouchés avec les débuts
de la plaisance dans la Manche. À l’embouchure de la baie de Morlaix,
Carantec devient une station balnéaire familiale, prisée de l’élite
morlaisienne qui s’adonne aux joies du yachting. La construction d’une
ligne de chemin de fer augmente la fréquentation du village de
pêcheurs : on bâtit de nombreux hôtels et des installations de plaisance
sont créées. Nombre de chantiers, comme ceux de Moguérou – racheté par
Jézéquel en 1952 (CM 10) – ou Sibiril, proposent des canots ou de
petites embarcations polyvalentes pour la pêche et la plaisance.
Par ailleurs, la fin de la guerre de 1914-1918 a entraîné de nouvelles commandes de bateaux de pêche, car les U-Boote
en ont décimé la flottille. Ernest Sibiril a lui-même perdu ainsi son
bateau. Il faut donc remplacer une partie de la flotte. En 1927, quand
Ernest prend la relève, le chantier tourne à plein régime. Dans
l’entre-deux-guerres, il construit des vedettes, des voiliers de
plaisance, des navires de pêche…
Comme
d’autres établissements de la baie de Morlaix, les Sibiril lancent
notamment des cotres, qui prendront le nom de leur lieu de naissance.
L’inventaire du patrimoine de Bretagne définit les « Carantec » comme
« des canots très typés ». La description du type est précise : « Étrave
droite et souvent verticale, brion peu profond, franc-bord important,
flancs droits, bouchain marqué, avec un fort retour de galbord et des
fonds assez plats, tonture discrète, tirant d’eau souvent important,
avec une quille en forte différence. L’arrière est assez bas avec une
voûte courte, mais le tableau, reste hors de l’eau et les lignes de
fuite assez fines n’engendrent que peu de sillage. » Les Carantec sont alors renommés pour leur polyvalence.
À
la fin des années trente, l’entreprise Sibiril est donc une affaire qui
tourne plutôt bien, un chantier de taille intermédiaire, comme il en
existe beaucoup sur les côtes de la Manche.
Le réseau d’évasion de Carantec
Sous
l’Occupation, le chantier se retrouve au cœur d’une incroyable épopée,
au point de devenir l’un des hauts lieux de la Résistance en Bretagne
Nord. Au moment de la débâcle française, dès juin 1940, des patrons
pêcheurs bretons organisent des traversées vers Jersey – avant que l’île
ne soit occupée – puis vers l’Angleterre. Très risquées, ces liaisons
transmanche permettent de faciliter les contacts avec les services
secrets britanniques, de transporter des volontaires pour les Forces
françaises libres et d’évacuer agents et pilotes alliés. L’un des
premiers et des plus efficaces de ces réseaux d’évasion se met en place à
Carantec.
Dès juillet 1940, Jacques Guéguen, un ami d’Ernest Sibiril, amène à bord de son cotre, Le Pourquoi pas ? – il avait navigué avec
Charcot –, des militaires britanniques jusqu’à Fowey, en Cornouailles.
Basé à Henvic, il fait quatre allers-retours avant que le moteur ne le
lâche. Le chantier Sibiril répare le bateau et c’est le début d’une
aventure hors norme qui va permettre de faire passer la Manche à cent
quatre-vingt-dix-sept personnes depuis la petite commune du Nord
Finistère.
En septembre 1941, Jacques Guéguen rencontre, au large de l’île de Batz, des agents du Secret Intelligence Service (sis)
de Londres. Ensemble, ils mettent en place la filière d’évasion de
Carantec. Celle-ci fonctionne au sein du réseau Alliance chargé de
regrouper et de cacher les agents alliés et une partie des aviateurs
abattus au-dessus de la France et de la Belgique. Les candidats au
départ sont ensuite convoyés jusqu’en Bretagne, à nouveau cachés,
parfois dans la maison des Sibiril, puis embarqués discrètement en
pleine nuit.
Début 1942, une première alerte a
lieu. Guéguen est arrêté, puis relâché. Le 3 février, plutôt que de
répondre à une convocation, il se rend chez son ami Ernest Sibiril, qui
l’exfiltre quelques jours plus tard à bord de l’André, un cotre
de 7,5 mètres. La traversée est terrible en raison du mauvais temps ;
les passagers sont obligés de pomper jusque Fowey.
C’est la
première des quinze évasions réussies par le réseau Sibiril. Les
Allemands multiplient pourtant leurs contrôles, particulièrement les
agents de la Grenzaufsichtstelle, la douane maritime militaire dont l’acronyme, GAST, fait sourire les bretonnants – en breton, gast signifie
« putain ». Les évasions s’organisent pourtant à la barbe de l’occupant
et tandis que les pêcheurs ne sont autorisés à prendre la mer qu’entre
7 heures et 19 heures.
Épaves ressuscitées propulsées avec des moteurs d’autos
Les
réquisitions des Allemands engendrant la pénurie des bateaux, après
quatre exfiltrations réussies, Ernest Sibiril décide de ressusciter des
épaves sorties des registres maritimes. Pour les propulser, il récupère
et marinise d’anciens moteurs d’automobiles. Chaque bateau peut
embarquer jusqu’à trente personnes. Le départ se fait en pleine nuit, à
l’aviron pendant 1 mille, puis à la voile et au moteur. La traversée
dure entre vingt et trente heures.
Sur les cent
soixante-dix-sept membres du commando Kieffer, première unité française à
débarquer en Normandie, sept sont passés par le réseau Sibiril.
Gwenn-Aël Bolloré, parti rejoindre son frère René à Londres, est de
ceux-là. Le futur P.-D.G. des éditions de la Table ronde n’a alors que
dix-sept ans (lire l’encadré page précédente).
En
juin 1943, les Allemands, alertés par des ragots et des délations, sont
de plus en plus méfiants. Ils remarquent également la disparition de
jeunes hommes des environs. Pressentant le danger, les Britanniques
décident d’exfiltrer Ernest Sibiril, qui peut leur être utile en raison
de sa connaissance du littoral breton et de son expérience de la
navigation en Manche. Le 18 juillet, la maison des Sibiril, à Carantec,
est cernée, mais Ernest a déjà fui avec sa femme et son fils. Dans des
conditions assez rocambolesques, ils sont parvenus jusqu’à Brest. De là,
Ernest a gagné l’Angleterre pour servir sur une vedette de l’US Navy.
Le dernier départ du réseau Sibiril a lieu le 14 février 1944 à bord de l’Amity,
un goémonier. Pendant ce temps, Louise, la femme d’Ernest, et son fils
Alain, âgé de quatorze ans, sont recherchés par les nazis. Ils
parviennent à se cacher et à leur échapper, mais cette clandestinité est
très éprouvante pour l’adolescent. Après la guerre, malgré son jeune
âge au moment des faits, il sera reconnu comme agent des services de
renseignements des Forces françaises libres. Après le décès accidentel
de son père, en mai 1961, il dirigera pendant trente-sept ans le
chantier de Carantec.
Edmond de Rothschild et Gitana IV à Carantec
La
paix revenue, Ernest Sibiril traverse une nouvelle fois la Manche pour
rapatrier quatorze des quinze bateaux utilisés par son réseau, « aux
frais de l’intéressé », suivant les termes de l’Administration, assez
peu généreuse au regard des services rendus. Cependant, le 10 juin 1950,
le général de Gaulle viendra en personne rendre hommage aux membres du
réseau Sibiril.
Dans
les années cinquante, le chantier continue de construire des bateaux
pour la petite pêche, l’ostréiculture et la plaisance. « Le chantier est
resté polyvalent à cette période, indique Tristan Pouliquen, l’actuel
directeur et président de Sibiril technologies. Il assurait aussi la
réparation et la maintenance. »
C’est ainsi que dans les années cinquante, le chantier de Carantec prend en main la refonte complète d’Orphée III, ex-Barbara III,
un yacht de 21 mètres à la flottaison, mis sur cale en 1939 par le
chantier Bernard Macario de Trouville d’après un plan Alden et les
spécifications de son commanditaire, l’industriel italien Ettore
Bugatti. Gréé en sloup à l’origine, il est transformé en ketch par son
nouveau propriétaire, M. Weisweiller. Il a ensuite navigué sur de
nombreuses mers du monde, notamment dans les Caraïbes. Selon la légende,
Aristote Onassis l’aurait loué pour sa lune de miel avec Jackie
Kennedy.
La décennie suivante est marquée par l’accueil de Gitana IV,
le voilier de course du baron Edmond de Rothschild. Construit en 1963
par les chantiers italiens San Germani, ce superbe yawl de 27,57 mètres
est aussi confortable que rapide. Il survole les compétitions dans les
années soixante, battant le record de la Giraglia en Méditerranée et
détenant, pendant dix-neuf ans, celui du Fastnet. « Chez nous, confie
Tristan Pouliquen, une légende veut que, faute de bout adéquat, le
chantier ait refait les drisses de Gitana IV avec du câble de
chalut. En fait, il s’agissait de cordages renforcés de fils d’acier, à
la fois souples et résistants. Dans les derniers bords très ventés du
Fastnet, les drisses de son principal concurrent se sont rompues : Gitana IV a ainsi remporté le trophée ! Cela a renforcé les liens entre le chantier et le baron de Rothschild. »
Si
ce dernier a choisi le chantier Sibiril, c’est aussi en raison de sa
proximité avec les frères Armand et Robert Léon, deux fameux skippers
qui habitaient l’île Callot. « J’ai découvert la voile grâce à ces
Carantécois », confiait le banquier. Avant de prendre la barre des
yachts du baron, Armand Léon avait fait traverser la Manche au dernier
bateau du réseau Sibiril, l’Amity, en 1944…
Le
chantier Sibiril construit aussi des vedettes de prestige, comme celle
du fort de Brégançon, la résidence présidentielle. « Il paraît qu’Helmut
Kohl l’appréciait particulièrement lorsqu’il rendait visite à François
Mitterrand », commente Tristan Pouliquen.
« Notre modèle économique, c’est la qualité du cousu main »
À
partir des années quatre-vingt, les commandes se font plus rares. Le
secteur de la pêche est frappé par le plan Mellick, puis par la crise
économique. « On n’a jamais cessé de construire des bateaux de pêche,
confie Tristan Pouliquen, mais c’est vrai que la demande a constamment
diminué jusqu’à récemment. » Dans le même temps, le chantier abandonne
la plaisance pour se recentrer sur les bateaux de servitude. « On ne
pouvait pas lutter contre la concurrence des grands acteurs de la
plaisance, précise le directeur. Par contre, pendant longtemps, nous
avons eu des clients qui achetaient des coques nues ailleurs et qui
venaient chez nous pour les gréer et équiper. »
En
grande difficulté, l’entreprise est rachetée en mars 2011 par
Jean-Pierre Le Goff, qui la recapitalise, lui apporte de solides
garanties et génère une nouvelle ambition commerciale (lire l’encadré
page suivante). « J’y ai investi, explique-t-il, car, pour moi, Sibiril
est plus qu’un chantier, c’est une marque, un nom avec une histoire.
Notre modèle économique, c’est la qualité et le cousu main. On doit
faire des bateaux costauds qui sortent lorsque les autres rentrent au
port. Ici, pas d’obsolescence programmée ! »
Et Tristan Pouliquen de renchérir : « Lorsque
votre pilotine doit aller chercher un cargo au large par gros temps ou
que le canot de sauvetage de l’île de Sein prend la mer, vous ne pouvez
pas jouer ! Vous devez avoir des navires extrêmement fiables et adaptés.
Les standards et les attentes sont très divers. Une pilotine navigue
deux mille huit cents heures par an, un canot de la snsm aux alentours de cent cinquante heures. Mais ils doivent rester opérationnels à chaque instant. »
Le
chantier de Carantec construit désormais entre trois et quatre unités
par an. Il travaille très en amont avec un bureau d’études étoffé et la
collaboration de plusieurs architectes navals. « Les pilotes sont très
exigeants, affirme Tristan Pouliquen. Ils ont des critères de qualité
très élevés, mais c’est extrêmement intéressant de travailler avec eux
et d’échanger sur leurs retours d’expérience. »
Cinq canots tous temps pour la SNSM
Aujourd’hui, le chantier reçoit régulièrement des commandes de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
« On faisait depuis longtemps de la maintenance pour elle, indique
Tristan Pouliquen. Ensuite, on lui a construit des vedettes de 12
mètres, et désormais on fait les navires-amiraux. » En effet,
l’association a confié à Sibiril la construction de cinq canots tous
temps de nouvelle génération (CTT NG) de 17,80 mètres de long, pour 5,40 mètres de large et 1,57 mètre de tirant d’eau.
En 2012, Xavier de La Gorce, le président de la SNSM, affirmait : « De par son format, ses technologies embarquées, sa capacité d’emport, sa puissance, le CTT NG devient le nouveau navire emblématique de la SNSM.
C’est un produit très haut de gamme et coûteux qui n’a pas vocation à
remplacer systématiquement tous les canots tous temps actuels de la
Société. » Ces unités, dont le design a été conçu par le bureau d’études
Pantocarene, sont propulsées par des moteurs Scania de 650 chevaux qui
leur permettent d’atteindre 25 nœuds en vitesse de pointe. « Ils ont une
tenue à la mer fabuleuse, assure Tristan Pouliquen. Nous avons
également beaucoup réfléchi sur le bruit et ils sont extrêmement
silencieux par rapport aux anciens modèles. »
Avec un équipage de huit hommes, les ctt ng peuvent
secourir jusqu’à soixante-dix naufragés. « Nous avons travaillé trois
ans sur le prototype, ajoute Tristan Pouliquen. Désormais, il nous faut
en moyenne onze mois pour en construire un. Les essais à la mer ont duré
deux mois, dans toutes les conditions, notamment en tempête, avant
qu’il ne soit qualifié. À Carantec, on a un avantage, ce n’est pas
difficile d’avoir des conditions extrêmes ! » Trois canots tous temps
ont déjà été livrés, à l’île de Sein, aux Sables-d’Olonne et à Sète.
L’autre
spécialité des chantiers Sibiril est la construction de pilotines et,
là encore, un soin particulier est apporté à la conception des navires.
« Autrefois, on venait nous voir avec des projets tout faits, commente
Tristan Pouliquen. Cela arrive encore, mais nous avons désormais
développé notre propre gamme avec un architecte naval, Pierre Delion.
Nous travaillons étroitement avec ce dernier sur les cahiers des charges
et nous pouvons proposer des vedettes de 10,50 à 16 mètres. »
Deux
d’entre elles, mesurant 12 mètres, viennent d’être livrées aux ports de
Cherbourg et du Havre. Une troisième unité a été commandée pour les
pilotes de Seine. Elles peuvent atteindre 30 nœuds en vitesse de pointe.
Tristan
Pouliquen insiste également sur les innovations technologiques mises en
œuvre, notamment en matière de propulsion. « Nous avons été les
premiers à adapter le système Inboard Performance System (IPS) à ce type de bateau, ce qui permet une meilleure navigabilité et, surtout, de substantielles économies de carburant. L’IPS est
une création de Volvo pour relancer le marché des grands voiliers de
plaisance. En raison des difficultés à les manœuvrer dans les ports, la
clientèle se portait sur des unités plus petites. L’IPS permet de rendre
de grosses unités plus maniables grâce à un système révolutionnaire de
doubles hélices en contre rotation. Celles-ci ne sont plus orientées
vers l’arrière mais vers l’avant et fixées sur des pods directionnels. Le navire n’est plus dirigé par un safran et il se manœuvre avec un joystick. Le rendement est bien meilleur, ce qui réduit la consommation. »
La
construction des coques est elle aussi à la pointe : « On a commencé à
utiliser des matériaux composites en 1979, explique le directeur.
Depuis, on ne cesse d’innover dans ce domaine, particulièrement avec
l’infusion des résines. Cela demande de grandes compétences techniques,
car, au moindre faux pas, toute la pièce, parfois la coque entière, est à
refaire. »
« Nous ne faisons pas appel à la sous-traitance »
Dans
un domaine où technologie et savoir-faire évoluent très vite, Tristan
Pouliquen insiste sur la formation et la motivation du personnel. « Nous
sommes l’un des rares chantiers à avoir conservé l’essentiel des corps
de métiers, pour pouvoir tout faire, à l’exception de secteurs très
particuliers comme l’électronique. Nous ne faisons pas
appel à la sous-traitance, ce qui permet de mieux gérer les délais. » Le
chantier Sibiril emploie des stratificateurs, des charpentiers, des
chaudronniers ainsi que des spécialistes des fluides. Il assure
l’isolation et la mise en place des moteurs. Des menuisiers réalisent
les finitions, notamment les rares parties encore en bois des
emménagements. « J’ai beaucoup de respect pour les constructeurs
d’autrefois, remarque Tristan Pouliquen, et j’estime que nos métiers
demandent toujours autant de passion et de savoir-faire spécifiques.
Nous sommes dans une véritable lignée. »
La
transmission s’est faite naturellement. Robert Sibiril, fils d’Alain et
petit-fils d’Ernest, est parti en retraite il y a quelques mois.
Désormais, la moyenne d’âge de la vingtaine d’employés tourne autour de
la trentaine d’années. « Nous n’avons que des CDI,
indique Tristan Pouliquen. Les gens font carrière ici. On les forme et
on les garde. C’est une philosophie très efficace, qui garantit la
qualité et la réactivité. Et puis, il y a une fierté à construire ces
navires. Pour les gars, cela a du sens de travailler sur des bateaux qui
peuvent sauver des vies humaines. »
Le
directeur n’élude pas les problèmes de coûts, particulièrement avec la
concurrence étrangère. « Nous sommes plus chers que les autres, mais
nous pouvons jouer sur notre réputation et notre fiabilité. Nos clients
en ont conscience, comme ils savent qu’ils seront livrés dans les
délais. »
Après une période de crise, l’horizon semble désormais se dégager pour le chantier Sibiril, qui vient de renouer avec la pêche, grâce à la commande de deux coquilliers-caseyeurs de 11,90 mètres de long et de 5 mètres de large, destinés à l’armement Eddy
Blanchet, d’Erquy. Leur coque est en composite – dont certaines parties
réalisées en infusion – et ils sont équipés d’un moteur Scania D113.
« On est ravi de réinvestir le secteur, commente Tristan Pouliquen. Il y
a de grosses opportunités, car la flotte de pêche est vieillissante.
Aujourd’hui, on sent un renouveau sur ce segment. On va essayer de faire
des bateaux plus économes et plus adaptés, afin que le travail des
pêcheurs soit moins pénible. Il y a vraiment des choses intéressantes à
faire. »
Son ambition est
également de gagner des parts de marché à l’export pour les bateaux de
sauvetage et les pilotines. Il mise notamment sur d’autres innovations,
comme l’utilisation de matériaux biocomposites à base de particules de
lin ou de chanvre. Il travaille aussi sur un modèle de pilotine à
propulsion hybride (gasoil-électricité) et imagine déjà les futurs
navires propulsés à l’hydrogène. À côté des mastodontes de la
construction navale, Sibiril continue donc de tracer un sillon
singulier.
Jean-Pierre Le Goff, un « Robin des mers »
Avant
de reprendre le chantier Sibiril, Jean-Pierre Le Goff a eu une carrière
bien remplie. Après des études d’ingénieur à Nantes, il intègre le
ministère de la Défense et les bureaux de recherche sur les sous-marins
nucléaires. « Il y avait beaucoup d’argent et des avancées
technologiques dont j’estimais qu’elles pouvaient servir au monde
maritime dans son ensemble. J’ai donc créé ma société, Sirhena, pour
faire le lien entre la Défense publique et le civil privé. » L’homme,
qui se considère comme un « Robin des mers », estime en effet que les
recherches militaires doivent être partagées afin d’aider les autres
industries navales. « Avec les SNLE [sous-marins nucléaires lanceurs
d’engins], on a développé des outils de calcul et de simulation qui
pouvaient aider à la construction navale. Par exemple, les avancées sur
la mécanique des fluides ont pu servir à améliorer les chalutiers. De
nombreux savoir-faire étaient également transposables dans le civil. »
La Sirhena sera revendue à la DCNS en 2008.
Deux ans plus tôt, Jean-Pierre Le Goff avait déjà monté un centre d’essais pour les drones marins en baie de Douarnenez : « On a “dronisé” un semi-rigide pour lui faire passer le raz de Sein. On a également fait de la récupération de drones aériens en mer à destination des commandos. […] Dans le domaine militaire, les drones peuvent éviter des pertes humaines lors de missions dangereuses comme la reconnaissance ou la guerre de mines. Ils peuvent aussi avoir un rôle de surveillance et de sauvetage. Cela fait des années que je le dis : si on les utilisait pour surveiller la Méditerranée, on aurait évité la mort de milliers de migrants. »
Au milieu des années quatre-vingt-dix, l’entrepreneur avait également racheté le Bureau d’études navales Mauric à Nantes, dont il a récemment cédé une partie de ses actions. « Travailler pour Mauric était l’un de mes rêves, parce que c’est lui qui a dessiné Pen-duick VI. »
Pourquoi Jean-Pierre Le Goff a-t-il racheté le chantier Sibiril alors en dépôt de bilan ? « Je l’ai fait par conviction, avec mes fonds propres, et parce que j’avais envie de faire quelque chose avec les gens du coin. Selon moi, la construction navale est viable. » En six ans, la situation financière de l’entreprise s’est améliorée : « Je ne gagne pas d’argent avec Sibiril, mais on a redressé la barre ».
Il est vrai que la concurrence est forte : « Nos concurrents sont désormais mondiaux. Pour exister, il faut monter en gamme, surtout sur les petits bateaux. C’est pour cela que Sibiril a une longue histoire et un avenir. On fait des bateaux à haute valeur ajoutée. Quand une unité sort de chez nous, c’est un acte de résistance à la mondialisation. Comme autrefois lorsqu’il fallait partir pour l’Angleterre. » Aujourd’hui, Jean-Pierre Le Goff milite aussi pour des coopérations avec la création d’un cluster régional d’industrie navale. « En se rapprochant, les chantiers, notamment bretons, peuvent structurer leur offre, faire des économies d’échelle et améliorer l’offre commerciale. C’est une évidence et on y arrivera. »
Deux ans plus tôt, Jean-Pierre Le Goff avait déjà monté un centre d’essais pour les drones marins en baie de Douarnenez : « On a “dronisé” un semi-rigide pour lui faire passer le raz de Sein. On a également fait de la récupération de drones aériens en mer à destination des commandos. […] Dans le domaine militaire, les drones peuvent éviter des pertes humaines lors de missions dangereuses comme la reconnaissance ou la guerre de mines. Ils peuvent aussi avoir un rôle de surveillance et de sauvetage. Cela fait des années que je le dis : si on les utilisait pour surveiller la Méditerranée, on aurait évité la mort de milliers de migrants. »
Au milieu des années quatre-vingt-dix, l’entrepreneur avait également racheté le Bureau d’études navales Mauric à Nantes, dont il a récemment cédé une partie de ses actions. « Travailler pour Mauric était l’un de mes rêves, parce que c’est lui qui a dessiné Pen-duick VI. »
Pourquoi Jean-Pierre Le Goff a-t-il racheté le chantier Sibiril alors en dépôt de bilan ? « Je l’ai fait par conviction, avec mes fonds propres, et parce que j’avais envie de faire quelque chose avec les gens du coin. Selon moi, la construction navale est viable. » En six ans, la situation financière de l’entreprise s’est améliorée : « Je ne gagne pas d’argent avec Sibiril, mais on a redressé la barre ».
Il est vrai que la concurrence est forte : « Nos concurrents sont désormais mondiaux. Pour exister, il faut monter en gamme, surtout sur les petits bateaux. C’est pour cela que Sibiril a une longue histoire et un avenir. On fait des bateaux à haute valeur ajoutée. Quand une unité sort de chez nous, c’est un acte de résistance à la mondialisation. Comme autrefois lorsqu’il fallait partir pour l’Angleterre. » Aujourd’hui, Jean-Pierre Le Goff milite aussi pour des coopérations avec la création d’un cluster régional d’industrie navale. « En se rapprochant, les chantiers, notamment bretons, peuvent structurer leur offre, faire des économies d’échelle et améliorer l’offre commerciale. C’est une évidence et on y arrivera. »
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