Plus
de cinquante navires, transportant du minerai de fer ou de bauxite, ont
soudainement disparu en mer ces dix dernières années. Ces vraquiers
auraient été victimes de liquéfaction, un étrange phénomène qui menace
les transporteurs maritimes.
Le temps est apparemment calme dans l’Atlantique Sud en ce 31 mars 2017. Le Stellar Daisy
chemine tranquillement en direction de la Chine, où il doit décharger
ses 260.000 tonnes de minerai de fer en provenance du Brésil. À 2h20
GMT, soit 11 h 20 heure locale, l’énorme cargo se met soudain à tanguer
dangereusement. José Cabrahan entend un bruit sourd ; il attrape en
vitesse un gilet de sauvetage avant qu’une vague ne submerge le pont.
Lorsqu’il refait surface, le bateau de 320 mètres a complètement
disparu. Avec son collègue qui a pu, lui aussi, s’emparer d’un gilet de
survie, il rejoint un canot de sauvetage. Il est 11 h 53. Les deux
rescapés errent en pleine mer durant 24 heures avant d’être récupérés
par un navire de commerce passant à proximité. Sur les 24 membres
d’équipage, les deux hommes seront les seuls survivants.
Plus de 200 victimes en 10 ans
Le Black Rose en 2009, le Nasco Diamond en 2010, le Harita Bauxite en 2013, le Stella Daisy
en 2017… Entre 2008 et 2017, 53 vraquiers de plus de 10.000 tonnes ont
ainsi disparu en mer sans raison apparente selon Intercargo,
l’association internationale des transporteurs de matière sèche ; soit
une moyenne de cinq bateaux par an. Quelque 202 personnes ont laissé
leur vie dans ces naufrages aussi soudains qu’inattendus.
Plus d’un an après, l’enquête sur les causes du naufrage du Stellar Daisy
n’a toujours pas abouti. Mais une explication commence à émerger sur
ces disparitions. La plupart de ces vraquiers avaient un point commun.
Ils transportaient l’un de ces trois minerais : du nickel, du fer ou de
la bauxite.
Des minerais constitués de fines poussières et transportés en vrac dans
des soutes, qui sont susceptibles de subir une brutale liquéfaction. Ce
phénomène se produit lorsqu'une cargaison, apparemment sèche, est
humidifiée, comme par exemple, lorsque le minerai reste à l’air libre
sur le port en attente du chargement, ou lorsqu’il est tamisé pour
séparer les particules fines des grosses particules.
L’humidité
modifie alors les caractéristiques physiques du minerai et lorsque le
navire subit un fort roulis ou d'excessives vibrations, l’eau infiltrée
entre les grains de bauxite est soumise à une pression de plus en plus
forte. Quand cette pression excède celle du minerai, la matière sèche se
comporte alors comme une énorme masse liquide se déplaçant d’un coup
d’un côté de la cale avant de se solidifier à nouveau. Le bateau,
déstabilisé, peut alors chavirer brusquement.
Une très lente prise de conscience
La
liquéfaction est pourtant un risque identifié depuis les années 1970.
Mais il est difficile à prévoir. Il est avéré, par exemple, que le
minerai de mauvaise qualité contenant beaucoup d’impuretés est plus
susceptible d’être concerné. Mais, jusqu’ici, le problème n'avait pas
été pris véritablement à bras-le-corps. La situation a commencé à
évoluer en 2015, suite au drame du Bulk Jupiter. Ce vraquier
transportant 56.000 tonnes de bauxite avait sombré au large du Vietnam,
causant la mort de 18 marins, parmi les 19 membres d’équipage.
L'OMI
(Organisation maritime internationale) avait alors lancé une mise en
garde aux capitaines de navires et instauré un groupe de travail ayant
pour objectif d'amender et d'actualiser le code maritime international
sur le transport de marchandises, notamment celui de matières solides en vrac (IMSBC, International Maritime Solid Bulk Cargoes).
Un seuil de 10 % d’humidité et une granulométrie minimum ont ainsi été
fixés en 2015. Les navires ne répondant pas aux critères doivent à
présent être catégorisés en catégorie A (matière dangereuse susceptible
de se liquéfier).
En
réalité, les contrôles, à la charge de l’expéditeur, sont quasi
inexistants et même lorsqu’ils se produisent, ils ne sont pas efficaces,
alerte l’assureur maritime Gard. « Comment voulez-vous estimer la taille de chaque particule dans un chargement de 50.000 tonnes de fer »,
s’interroge-t-il. De plus, le risque de liquéfaction ne dépend pas
seulement du taux d’humidité, mais aussi d’autres facteurs comme la
répartition de la granulométrie, la composition du minerai, ou la façon
de le charger et de l’entreposer dans la cale. Certains pays, comme les
Philippines ou la Malaisie, sont également épinglés pour leurs mauvaises
pratiques de transport et de stockage.
Les solutions pour limiter le risque de liquéfaction
Les experts préconisent des mesures alternatives. « Des bateaux plus petits seront moins sensibles à l’instabilité provoquée par la liquéfaction de masse », suggère Dennis Bryant,
consultant indépendant pour l’industrie maritime. Plutôt que de réduire
la taille du bateau, il serait aussi possible de diviser la cale avec
une cloison longitudinale, ce qui aurait pour effet de réduire la masse
liquéfiée afin qu’elle ne balance pas d’un bord à l’autre du bateau. Des
capteurs pourraient également surveiller la pression à l’intérieur de
la cale. « Cela aura nécessairement un coût supplémentaire et pourrait allonger le temps de chargement et déchargement, reconnait l’expert. Mais on a bien réussi à imposer des doubles coques chez les pétroliers pour lutter contre les marées noires ». Et si cela permet de sauver des vies...
Ce qu'il faut retenir
- Le minerai de bauxite, de fer ou de nickel, est susceptible de se liquéfier soudainement dans la cale des navires.
- Plus de 50 vraquiers ont ainsi disparu en mer ces 10 dernières années.
- Les mesures prises par l’Organisation maritime internationale ne semblent pas pouvoir répondre à ce risque.
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