L’extraordinaire histoire de Tamaris et de son équipage débute en 1869 aux Forges et Chantiers de la Méditerranée à la Seyne-sur-Mer, où l’armateur marseillais Deville commande la construction d’un « trois-mâts-barque » révolutionnaire puisque, pour la première fois, sa coque sera en fer, en panneaux rivetés, lui conférant solidité, finesse et vitesse, un atout pour concurrencer les clippers marchands sillonnant les mers du monde.
Le navire sera de taille modeste : 48 mètres de long pour 9 de large. Un équipage réduit de 14 hommes, suffit à sa manœuvre, c’est peu comparé à l’anglais Cutty Sark construit la même année, long de 85 mètres, large de 11, capable de filer 17 nœuds avec un équipage du double de marins.
Le voilier est livré à l’armateur le 17 mai 1869 et sous sa bannière, sillonne toutes les mers du monde : Indochine, New York, Amérique du Sud transportant indifféremment barils de pétrole et peaux de Patagonie.
En 1880, le voilier âgé de 11 ans et en excellent état, est racheté par l’armateur Antoine Bordes de Bordeaux pour 58.000 francs-or qui le destine à sa ligne du Pacifique.
C’est ainsi que le 28 novembre 1886, Tamaris appareille du port de Bordeaux sous le commandement du capitaine Paul Majou en direction de Nouméa via le Cap de Bonne Espérance.
On sait très peu de choses sur la composition de l’équipage et le déroulement du voyage, car aucun document de bord ni archives n’ont été retrouvés. L’historien doit, à l’aide des maigres indices recueillis, reconstituer l’enchaînement complexe des événements qui ont conduit à la tragédie qui s’est imposée d’elle-même. Roman et récit authentique deviennent alors indissociables.
Tamaris poursuit sa route vers l’orient et, après avoir contourné l’Afrique, s’engage au sud pour atteindre la portance des vents d’ouest des Quarantièmes de latitude.
Le 8 mars 1887, après plus de 13 semaines de mer, Tamaris est au cœur de l’océan Indien, dans la région des îles Crozet, probablement à une estime de route plus méridionale qu’il ne l’évaluait.
On pense que c’est le 9 mars, vers deux heures du matin que Tamaris accroche un récif affleurant au sud de l’ilot des Pingouins. Cet ilot est une muraille redoutable de près de 350 mètres d’altitude, long de 4 km pour moins de 700 mètres de large, issu du démantèlement d’un appareil volcanique.
Les 13 marins eurent juste le temps de mettre à l’eau les deux chaloupes, de s’y entasser avec 150 livres de biscuit et deux tonnelets d’eau douce. Impossible de débarquer sur les falaises abruptes de l’île.
Le capitaine Majou décide de poursuivre plus au Nord vers l’île aux Cochons, beaucoup plus vaste ( 67 km ²) et distante de 40 km. Majou sait qu’un voilier anglais, le Comus, est venu huit ans plus tôt, faire un dépôt de vivres à l‘intention d’éventuels phoquiers naufragés qui fréquentent nombreux ces îles. Le nom même de l’île, laisse supposer qu’il y aurait eu dépose de ces animaux dans la même intention et qu’ils y prospèrent ! Les naufragés mettront trois jours à parcourir la distance et aborderont l’île à proximité du dépôt du Comus.
Ils ne laisseront aucun écrit sur leur séjour, consommant les vivres du dépôt puis, comme tous les naufragés de cette époque, se nourrissant d’éléphants de mer et de manchots.
Ils avaient très probablement construit des huttes en lave recouvertes de leurs canots renversés et rien ne laisse supposer des mésententes dans le groupe, comme cela arrive fréquemment en pareilles situations (1).
Après quatre mois de séjour sur l’île aux Cochons, la lassitude s’empare progressivement des naufragés : les réserves du Comus sont épuisées, la nourriture locale toujours identique lasse et s’épuise également. Surtout, ils n’aperçoivent aucun navire venu à leur recherche ou à la chasse aux éléphants. Faim et sentiment d’abandon les conduisent à prendre des initiatives.
D’abord, une tentative un peu folle, copiée sur les pigeons voyageurs et transposée aux albatros nidifiant en grand nombre sur les pentes du volcan. Ils seront les messagers de leur détresse, mais les marins ignorent tout du trajet des oiseaux et de leurs capacités. Leurs espoirs fous vont se concrétiser dans la rédaction de plaques gravées sur d’anciennes boîtes de conserve. Ils écrivent : « 13 naufragés sont réfugiés sur les îles Crozet. Au secours pour l’amour de Dieu ! 11 août 1887 ».
Probablement d’autres messages sont écrits et attachés aux cous de plusieurs albatros.
Mais un seul arrivera exténué sur une plage d’Australie occidentale, à proximité de Fremantle. Ce sera le premier miracle, le 25 septembre 1887.
L’oiseau aura mis sept semaines pour parcourir avec les détours, environ 6000 km … Le second miracle s’enchaîne, car des promeneurs sur la plage remarquent l’oiseau souffrant et la plaque qui brille à son cou. Ils la déchiffrent.
Pendant ce temps, à l’île aux Cochons, l’impatience des naufragés grandit et ne supporte plus l’attente. Ils savent que plus à l’Est, existe une autre île, vaste du double de la leur, mieux pourvue en animaux et par conséquent plus fréquentée par les chasseurs et leurs navires. Cette île de la Possession est à quelques 110 km de là, dans la direction des vents dominants. Ils décident de tenter l’aventure et quittent leur île le 30 septembre. Cinq jours après l’arrivée de l’albatros en Australie ! Tragique enchaînement de circonstances.
Pendant ce temps, en Australie, le Consulat français de Perth est contacté et la lourde machine administrative se met en marche à un rythme tout à fait honorable, compte-tenu de l’époque, des distances et des disponibilités maritimes.
L’information concernant les naufragés remonte en effet à Paris, aux Affaires étrangères, à la Marine puis l’ordre redescend d’envoyer un aviso de recherche, ordre qui sera répercuté à la récente base navale de Diego Suarez. L’aviso La Meurthe (commandant Frédéric Richard Foy, 38 ans) est désigné pour cette mission. Le navire appareille le 18 novembre de Diego, soit 7 semaines après l’arrivée de l’albatros. Une performance.
La Meurthe est un bâtiment lancé en 1885, donc très récent, long de 70 mètres, large de 10, doté d’une machine à vapeur de 300 chevaux, sa vitesse est de 11 nœuds et 44 hommes sont à son bord.
L’aviso fonce sur les îles Crozet qu’il atteint le 1er décembre 1887, après 12 jours de mer. Il se présente face à l’île aux Cochons et une équipe envoyée à terre, découvre le baraquement en ruines des naufragés du Tamaris et le message suivant laissé en évidence par Majou : « Le 30 septembre, nos provisions épuisées, nous partons pour l’île de la Possession ». Ils n’avaient pas attendu deux mois l’arrivée du navire de secours. Croisée de malchances.
La Meurthe appareille alors pour la Possession et visite toutes les criques et plages possibles, elle fouille également l’île de l’Est voisine où elle croit retrouver les naufragés. Hélas ! Il s’agissait de chasseurs américains ! Il faut se rendre à l’évidence : les 13 naufragés de Tamaris ont disparu en mer entre les îles aux Cochons et la Possession.
Tragique destin de marins illuminé par l’incroyable exploit d’un albatros.
L’Albatros et le Tamaris
par Jacques NOUGIER
Airelle-Editions : 30 avenue Praud 44300 NANTES
(1)Lire le naufrage de l’Aventure en 1825 à l’île de L’Est par William Lesquin et celui du Strathmore en 1875 aux Apôtres par Ian Church, deux naufrages qui ont également eu lieu aux îles Crozet et qui sont racontés dans Trois naufrages pour trois îles, Edition de la Dyle, 1998 , 312 pages ; ISBN 90-8011224-9-6.
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