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Cap au Nord avec Julien Blanc-Gras : l'écrivain-voyageur court le monde sans se prendre au sérieux
Julien Blanc-Gras, écrivain, journaliste et voyageur est allé au Groenland. De ce voyage, il a rapporté un récit insolite, Briser la glace (Paulsen), plein de fraîcheur, d’humour et de sincérité.
Invité au festival
Etonnants Voyageurs,
il a volontiers évoqué plus en détails ce voyage en contrée arctique,
la genèse du livre et sa passion plus générale pour le voyage, la
rencontre avec la population locale et l’écriture dont aujourd’hui, sa
vie tout entière se nourrit et semble s’épanouir.
© Chantal Parent
Cécile Pellerin. Pour ceux qui n’auraient pas encore lu votre livre,
pouvez-vous en quelques mots, préciser l’origine de ce voyage ?
Julien Blanc-Gras. Les Editions
Paulsen m’ont proposé de participer à une expédition sur le voilier
Atka
que le propriétaire, un guide de haute-montagne de Chamonix, François
Bernard, passionné par l’Arctique, met à disposition des artistes. Ce
bateau est une sorte de résidence artistique itinérante et j’ai eu la
chance d’y séjourner quelques semaines avec deux marins et un peintre,
Gildas Flahaut, dont le livre,
Le bal des glaces (Paulsen) est né du même voyage.
CP. Est-ce que l’image que vous vous étiez faite du Groenland et
de ses habitants s’est révélée conforme à ce que vous avez finalement
vécu ?
Julien Blanc-Gras. Je suis arrivé au Groenland avec des
stéréotypes, des images d’Epinal dont certaines se sont révélées
exactes. Mais heureusement, lorsqu’on voyage, on est toujours surpris.
Et cette fois, c’est l’incroyable beauté des paysages qui m’a vraiment
surpris. De toute ma vie de voyageur, (et je voyage assidûment depuis
20 ans, un peu partout dans le monde) ce sont les plus beaux paysages
jamais vus. Au-delà de ce choc esthétique, c’est aussi la rencontre avec
les habitants qui a créé un fort étonnement. Les Groenlandais d’abord,
descendants des Inuits qui forcent l’admiration car ce peuple a su
développer sa survie dans des conditions extrêmement hostiles depuis des
millénaires. Héritiers de cette tradition, ces habitants s’inscrivent
en même temps pleinement dans la modernité, connectés à la société
moderne et c’est ce mélange-là qui est très intéressant.
CP. Quel fut votre plus fort étonnement ?
Julien Blanc-Gras. Les icebergs et l’immense glacier de Sermeq
Kujalleq à proximité d’Ilulissat. Un paysage absolument fascinant. On
est complètement ahuri devant ce spectacle-là.
CP. Le Petit Futé sort un guide sur le Groenland. C’est la 1ère fois, je crois. Qu’en pensez-vous ? Le voyage vers l'Arctique se démocratise-t-il ?
Julien Blanc-Gras. En effet, il y a de plus en plus de gens
qui viennent visiter le Groenland. Les croisières se multiplient
notamment mais on est encore loin du tourisme de masse. Mais j’espère
que la population saura bénéficier des avantages de ce tourisme qui se
développe sans en subir les nuisances.
CP. Avez-vous vu le film « Le voyage au Groenland » de Sébastien
Betbeder ? Ne trouvez-vous pas que par certains côtés, la manière
d’aborder le pays ressemble un peu à la vôtre ?
Julien Blanc-Gras. Non pas encore. Je n’étais pas en France
lorsqu’il est sorti. Mais le côté burlesque et cocasse que l’on évoque à
propos de ce film, semble pouvoir se rapprocher de l’atmosphère de mon
livre.
CP. Au-delà de la description des paysages et de votre étonnement à
les découvrir qui interpellent, fascinent et amusent le lecteur, c’est
aussi votre spontanéité et votre enthousiasme à aller vers la population
locale qui offrent au livre une tonalité inédite. Est-ce que la
rencontre, au-delà du barrage de la langue, fut plus difficile
qu’ailleurs ? Pourquoi ?
Julien Blanc-Gras. Bien sûr, peu d’habitants parlent l’anglais
et effectivement le groenlandais est une langue assez difficile à
appréhender mais, malgré tout, on parvient à communiquer, à échanger et
l’échange ne fut pas plus difficile qu’ailleurs.
CP. Comment s’est déroulée la cohabitation sur le navire ? Aisée
ou non ? Etiez-vous aguerri à la voile ? Avez-vous eu des déboires de
navigation ? Avez-vous eu peur ?
Julien Blanc-Gras. J’avais une petite appréhension au départ
puisque je montais sur un bateau avec des gens que je n’avais jamais
rencontrés auparavant. Est-ce qu’on allait devenir amis pour la vie ou
au contraire s’entretuer ? Mais en fait, tout s’est bien passé. Les
jeunes et vaillants marins qui se sont occupés du bateau m’ont ramené à
terre et en vie et ils ont eu la générosité de me faire partager leur
savoir maritime. Humainement, tout s’est vraiment bien passé et j’ai
appris sur la navigation.
Le peintre, Gildas Flahaut,
« notre tonton » sur le bateau est
un type formidable, un racontar d’histoires, généreux et drôle, avec
qui on a partagé des moments formidables. En fait, tout le monde était
content d’être là et en général, dans cette configuration-là, tout se
passe bien.
J’ai éprouvé une petite frayeur (que je raconte dans le livre) une
nuit où le bateau s’est enquillé sur un haut fond avec les icebergs
autour. Nous étions assez loin de tout. J’avais un peu de mal à évaluer
la réalité du danger mais pendant un quart d’heure la situation s’est
avérée assez compliquée mais nos vaillants marins ont réussi à nous
sortir de ce traquenard. Pour l’anecdote, juste après ce moment
d’adrénaline, j’ai vu ma première aurore boréale. Une succession
d’émotions assez troublante.
© Julien Blanc-Gras
CP. Dans votre récit de voyage, par ailleurs, nourri de lectures
d’explorateurs, vous évoquez (sans que ce soit l’essentiel de l’ouvrage)
les nouveaux enjeux environnementaux (et sociaux) qui se trament autour
des ressources du sol et de l’autonomie renforcée de l’île ? Avez-vous
une volonté d’alerte ?
Julien Blanc-Gras. On me pose souvent cette question.
Personnellement, je ne me vois pas comme un militant pour quelque cause
que ce soit d’ailleurs mais plutôt comme un témoin. Le changement
climatique n’est pas le sujet central du livre mais c’est impossible de
ne pas en parler tant, au Groenland, il fait partie du contexte. J’avais
déjà évoqué cette problématique du climat lors d’un précédent livre sur
les îles Kiribati et je ne souhaitais pas refaire la même chose. Sans
vouloir lancer l’alerte, je suis plus dans le devoir d’information, pas
complètement inutile non plus.
Les gens connaissent les enjeux climatiques. Pour ma part, je préfère
toujours me confronter au terrain plutôt que de me contenter de lire
trois articles qui seront forcément réducteurs sur le sujet. Quand on
discute avec les gens sur place, on entend des points de vue un peu
différents. Globalement, la perception occidentale sur le Groenland
c’est qu’il est la première victime du changement climatique dû aux pays
industrialisés. Je crois que c’est vrai mais sur place, la perception
est un peu différente, plus contrastée. Une partie de la population
considère le changement climatique comme une opportunité. Moins de
banquise augmente la période de pêche dans certaines régions et à terme,
permet de gagner plus d’argent. De plus le dégel des sols permettrait
un accès plus facile aux ressources minières et d’hydrocarbures. Il y a
bien des enjeux d’exploitations du sol au Groenland, des projets en
cours non négligeables pour l’économie de l’île. Cinq pays s’intéressent
particulièrement à l’Arctique : Les Etats-Unis, la Russie, le Danemark,
le Canada, la Norvège et même la Chine. Une manne financière qui
sous-tend un intérêt politique important, lié à une indépendance totale
du pays ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque le Groenland est une
province autonome du Danemark.
CP. Comment avez-vous écrit ce livre ? Après coup, une fois rentré en France ou bien lors du voyage ou les deux ?
Julien Blanc-Gras. J’ai pris des notes sur place. Tous les
soirs, je tenais mon journal de bord. Des notes souvent illisibles car
écrire sur un bateau, ce n’est pas facile. La vraie écriture, c’est la
réécriture et de retour à Paris, j’ai mis plusieurs mois à mettre de
l’ordre dans mes brouillons. Le livre est sorti un an après ce voyage.
CP. Vous avez voyagé avec le peintre Gildas Flahaut. Aucun projet commun n’a pu naître lors de ce voyage ?
Julien Blanc-Gras. Rien de précis mais je pense que cela ne
déplairait ni à l’un ni à l’autre de réaliser quelque chose ensemble. Au
hasard de nos voyages et de nos pérégrinations, ça pourrait arriver.
CP. Ce qui distingue votre livre des récits de voyage habituels,
c’est votre humour et votre légèreté apparente, votre humilité qui
finalement créent une heureuse proximité avec le lecteur lambda (non
initié à ce type de voyage). Vous rendez « possible » le voyage aux yeux
de tous. Ne redoutez-vous pas de perdre votre fraîcheur et votre
spontanéité au fil des voyages ?
Julien Blanc-Gras. Je ne suis pas un aventurier, je ne cherche
pas l’exploit sportif et je ne suis pas un explorateur non plus. J’ai
l’esprit aventureux malgré tout, le goût du voyage, j’ai envie d’aller
partout et ça c’est depuis le livre « Touriste », un récit de voyage
autour du monde où j’assume justement mon statut de touriste-voyageur.
Je crois que c’est ce parti pris qui crée la proximité avec le lecteur.
Je n’ai pas la distance de l’écrivain-explorateur. Le voyage c’est un
regard qu’on porte sur les choses. Pour ma part, je vois le monde avec
humour et personnellement je trouve que les récits de voyage sont
souvent trop sérieux et je pense qu’on peut aborder des sujets profonds
avec une écriture légère sans les trahir.
CP. Pensez-vous avoir changé après ce voyage davantage qu’avec un autre voyage ? Pourquoi ?
Julien Blanc-Gras. On revient toujours changé d’un voyage.
Davantage ? Non, je ne pense pas même si c’est un voyage un peu à part,
car c’était la 1
ère fois que j’allais à la rencontre du
froid. Sauf que si je dis la vérité, il ne faisait pas vraiment froid.
En été, les températures oscillent entre 0° et 10 °, ce qui n’est pas
extrême. C’était quand même la 1
ère fois que je me
confrontais à un univers polaire et l’effet de nouveauté fut quand même
bien supérieur à un voyage en Espagne, par exemple.
Mais je pense que les voyages qui nous changent ce sont d’abord les voyages initiaux. Le 1
er
voyage qu’on entreprend, c’est généralement celui-là qui nous marque à
vie. Mais je repartirais bien là-haut même si je suis toujours partagé
entre retourner dans un endroit qui m’a vraiment plu ou découvrir un
nouveau territoire. En général, je préfère toujours aller dans un nouvel
endroit mais j’adorerais, malgré tout y retourner. Je n’ai vu qu’une
toute petite partie du Groenland : Nuuk, Ilulissat et la baie de Disko.
Même s’il reste un pays minuscule en matière d’habitants, ils ne sont
que 57 000, le territoire est tellement vaste et difficile d’accès (il
n’y a pas de routes) qu’il faudrait pas mal d’années pour bien le
découvrir, je pense.
CP. Quels voyages depuis ? Pour quel prochain livre ?
Julien Blanc-Gras. Depuis le Groenland, je suis allé en Inde,
en reportage puis au Népal où j’ai suivi une expédition de parapentistes
dont l’objectif était de survoler le Machapuchare, une montagne sacrée
de l’Himalaya de près de 7000 mètres jamais gravie. On n’a pas tout à
fait réussi mais voler en altitude au-dessus de l’Himalaya, c’était
chouette. Un vol un peu extrême mais que j’ai suivi comme passager. Une
belle aventure et au final un reportage pour l’Equipe.
Au mois de mars, je suis allé un mois au Cameroun dans le cadre d’une
résidence d’auteur avec l’Institut français du Cameroun. J’étais donc
là pour écrire mais pas forcément sur le Cameroun mais j’ai pris des
notes et je pense que je vais écrire quelque chose sur ce pays.
Sinon la semaine dernière, j’étais aux Seychelles pour un reportage
plus touristique cette fois. Et c’est aussi paradisiaque qu’on le dit.
En fait, je n’aime pas vraiment partir en vacances et lors de mes
voyages, j’ai besoin de transmettre pour y mettre du sens. Cela ne
m’intéresse pas de collectionner les destinations ; j’ai besoin de ce
partage avec autrui.
Le prochain livre sortira le 4 septembre au
Diable Vauvert et s’appelle «
Dans le désert »
et c’est un récit de voyage dans les pays du Golfe, principalement au
Qatar mais aussi à Dubaï, Oman, au Bahreïn. J’y suis allé pendant un
mois, en hiver, la température était donc supportable. Ce sont des pays
fascinants car c’est un nouveau monde qui se construit là-bas avec des
moyens illimités. Des pays à la pointe de la modernité et en même temps
ultra-conservateurs où il n’est pas si facile de rencontrer des gens. Au
point que je me suis demandé si j’allais réussir à entrer en contact
avec la population locale. C’est d’ailleurs le fil de mon livre.
CP. Comment choisissez-vous vos destinations ? Qu’est-ce qui vous mène ?
Julien Blanc-Gras. Parfois c’est l’envie, parfois c’est un
sujet, parfois c’est une opportunité professionnelle. Le voyage au
Qatar, par exemple, est né d’une envie personnelle. Je suis parti avec
mon sac à dos, ce qui ne se fait pas trop dans ce pays-là.
CP. L’écriture est-elle indissociable des voyages que vous entreprenez ?
Julien Blanc-Gras. Clairement oui. Je ne reviens jamais d’un voyage sans écrire quelque chose même si je ne pars que quatre jours.
J’ai suivi une formation de journaliste à Grenoble. J’ai démarré au
Dauphiné Libéré à Gap (ma ville d’origine) et au bout de quelques mois,
j’ai démissionné pour partir voyager sans but précis. Et j’ai bien fait
car ce voyage au Mexique qui devait durer quelques semaines a duré
finalement presque un an et à l’issue de ce périple, j’ai écrit mon
premier roman, «
Gringoland » (2005) qui raconte plus ou moins cette aventure-là. Premier roman qui, par la suite, en a amené d’autres.
CP. (Une dernière question suggérée par mon fils de 15
ans) Vivre coupé du monde pendant quatre semaines, sans téléphone ni
internet, ç’est possible ?
Julien Blanc-Gras. Alors ! Ca fait du bien parce que la
maladie de notre époque, c’est la connexion permanente et la dispersion
et l’émiettement de nos cerveaux. Donc cette espèce de cure, de
déconnexion numérique fait le plus grand bien pendant quelques jours.
Mais comme on est tous, plus ou moins drogué, au bout d’un moment, on a
tout simplement envie de prendre contact avec ses proches. D’où le
chapitre sur Qeqertarsuaq, qui n’est pas la ville la plus accueillante
du Groenland, où j’essaie de raconter avec humour notre difficulté pour
trouver une connexion internet après quinze jours de navigation coupée
des nouvelles du monde.
Personnellement, je ne pense pas qu’il faille se couper du
monde, il faut au contraire se fondre au monde mais cette déconnexion
temporaire a des vertus thérapeutiques, mais je ne pourrais pas vivre en
ermite, loin de tout.
Bibliographie
Gringoland (2005),
Diable Vauvert et
Livre de poche (2015)
Comment devenir un dieu vivant (2008),
Diable Vauvert et
Livre de poche (2015)
Touriste (2011),
Diable Vauvert et
Livre de poche (2013)
Paradis (avant liquidation) (2013),
Diable Vauvert et
Livre de poche (2014)
Géorama Le tour du monde en 80 questions (2014) avec
Vincent Brocvielle,
Robert Laffont et
Livre de poche (2015)
In utero (2015),
Diable Vauvert et
Livre de poche (2017)
Briser la glace (2016),
Paulsen