De 1977 à 2008, il a assuré la
liaison maritime entre Lorient l’île de Groix. En 2018, il reprendra du
service à Madagascar sur une nouvelle ligne commerciale vers les
Comores. A Nantes, l’ex-Kreiz er Mor est en plein travaux.
Le navire, qui n’a pas pris la mer depuis 2010 et attendait depuis bien longtemps sous le pont de Cheviré, a été remorqué le 9 octobre au chantier de l’Esclain, où la restauration du bateau a débuté une semaine plus tard.
Le Kreiz er Mor au chantier de l'Esclain la semaine dernière (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sept ans d’attente
Construit il y a 40 ans dans l’estuaire de la Loire, au chantier Chauvet de Paimboeuf, le Kreiz er Mor, désarmé en 2008, avait été vendu en 2010 par le Conseil général du Morbihan à la compagnie Finist’Mer, qui envisageait de s’en servir pour développer de nouvelles lignes en Bretagne. Mais le bateau ne reprendra finalement pas du service et, dès 2010, des projets alternatifs émergent. Son nouveau propriétaire envisage une transformation du Kreiz er Mor en bâtiment de soutien scientifique, alors que la piste d’une exploitation pour le transport de marchandises entre Madagascar et les Comores est aussi évoquée. C’est cette dernière solution qui l’emporte et, dans cette perspective, l’ancien courrier de Groix est revendu à un armateur comorien. Le projet rencontre néanmoins des difficultés et finit par s’enliser, alors que le bateau se dégrade au fil des années dans le port de Nantes.
En 2011 à Saint-Nazaire (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
En attente dans le port de Nantes en 2012 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
En attente dans le port de Nantes en 2012 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Créer une ligne régulière au départ de Majunga
C’est en avril dernier qu’enfin, les choses bougent. De nouveaux acteurs rejoignent le projet, qui prend en plus de sa finalité commerciale une dimension associative. Entrepreneurs et armateurs à Madagascar depuis une vingtaine d’années, deux frères originaires de Marseille, Grégory et Patrick Psalida, s’associent au propriétaire du navire et organisent la remise en service du Kreiz er Mor. « Le navire assurera une liaison régulière, avec deux à trois rotations par mois, entre Majunga, sur la côte nord-ouest de Madagascar, et les Comores. Il acheminera principalement des denrées alimentaires, en particulier des légumes, et tout autre type de fret à destination du marché comorien. Il pourra aussi transporter jusqu’à 150 passagers, une capacité moindre qu’auparavant puisqu’il pouvait accueillir plus de 500 personnes sur la ligne vers Groix », explique Patrick Psalida. Le projet doit permettre de soutenir l’économie locale dans ce pays très pauvre : « Il n’existe aujourd’hui aucune liaison régulière alors qu’il y a un commerce à développer. L’idée est donc de d’inventer quelque chose qui crée du développement économique et de l’emploi ».
Un bateau tropicalisé et simplifié
Pour cela, le navire de 435 GT de jauge, long de 39 mètres pour une largeur de 10.5 mètres, est « tropicalisé ». Il faut en effet adapter l’ancien transbordeur, qui a passé 40 ans dans les eaux bretonnes, à ses nouvelles conditions d’exploitation en région chaude. Cela passe par le conditionnement d’air ou encore l’installation de prises reefer sur la plage avant, où les panneaux de cale vont être soudés, cet emplacement étant aménagé pour accueillir trois conteneurs de 20 pieds réfrigérés. Cela participe aussi de l’un des grands volets du chantier d’adaptation : simplifier le navire pour tenir compte des usages malgaches, qui ne sont pas les mêmes qu’en Europe. Ainsi, en plus de la condamnation des panneaux de cale, la grue à l’avant, qui n’a d’ailleurs du temps du service Groix-Lorient jamais vraiment servi, va être démantelée et ne sera pas remplacée. Car la manutention, à Madagascar et à Moroni aux Comores, sera essentiellement réalisée manuellement par des dizaines de personnes. Quant aux marchandises les plus lourdes, dont les conteneurs et éventuellement des véhicules, ils seront chargés et débarqués par les moyens de levage présents dans les ports desservis.
La porte de bordé sur tribord est démontée (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Plage avant (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Une partie de ce qui a déjà été extrait du Kreiz (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Et la grue n’est pas le seul équipement à quitter le bord. « On enlève tout ce qui est obsolète et qui ne sera pas remis en exploitation, avec l’idée de simplifier au maximum le bateau afin d’en faciliter l’entretien et d’éviter les problèmes de pièces détachées ». Exit par exemple le cabestan qui encombrait la plage arrière ou encore la porte de bordé par laquelle entraient et sortaient les voitures. La porte est débarquée et sera remplacée par un panneau fixe.
Le navire bat désormais pavillon malgache (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le pavillon malgache flotte déjà à la poupe
Le navire, qui ne garde de son nom d’origine que le « Kreiz » (le nom Kreiz er Mor, signifiant « au milieu de la mer » en langue bretonne, était déposé) est désormais officiellement immatriculé à Madagascar, dont le pavillon flotte à sa poupe. En tout, il pourra transporter 200 tonnes de fret dans sa cale et son ancien pont garage, en cours de réfection. Depuis la mi-octobre et le début des travaux, une quantité assez impressionnante de matériel usagé et de déchets a déjà été débarquée. « Le bateau qui est à quai depuis une dizaine d’années a beaucoup souffert extérieurement mais l’intérieur est sain », souligne Patrick Psalida. De fait, de nombreux espaces sont encore en plutôt bon état, à l’image du garage. Celui-ci est actuellement rempli de nombreux objets provenant d’autres parties du bateau, comme le mobilier du grand salon des passagers, qui va être complètement réaménagé.
Le salon des passagers (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les machines reprennent vie
Les machines, remises un temps en route après la vente du bateau par Finist’Mer, n’ont quant à elles pas bougé, comme si le temps s’y était arrêté. Les deux moteurs Crepelle de de 600 kW chacun, qui permettaient de faire marcher le Kreiz jusqu’à 12 nœuds, sont fidèles au poste. Derrière eux, on observe l’une des particularités de ce bateau, à savoir le système de stabilisation apparent installé dans la salle des machines. Celle-ci est en train de reprendre vie, comme en témoignent son PC et son petit atelier, désaffecté pendant longtemps et qui s’est regarni d’outils.
Le PC Machine (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les moteurs Crepelle et derrière le système de stabilisation (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
L'atelier des mécaniciens (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Ailleurs dans le bateau, certains locaux ont moins bien supporté les années passées à quai et devront être entièrement refaits. Un très gros travail va aussi être mené sur certaines parties techniques, en particulier l’électricité et la sécurité, qu’il faut remettre aux normes.
Beaucoup de vestiges du passé
L’ex-Kreiz er Mor conserve en tous cas beaucoup de reliques de son passé : ici un plan des ponts avec d’antiques Citroën DS matérialisées dans le garage, là ces rangées de sièges en bordé devant des sabords encore agrémentés des rideaux de l’époque. Et puis aussi cette ingénieuse infirmerie, conçue à l’origine pour l’évacuation de Groisillons gravement blessés vers les hôpitaux du continent. Une trappe avait été intégrée dans une cloison afin de pouvoir faire passer directement un brancard vers le garage et une ambulance.
La cuisine des locaux équipage (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les anciens quartiers de l’équipage n’ont, pour ainsi dire, pas vraiment bougé eux non plus. Sur la porte du carré, il y a toujours l’autocollant de l’Auberge du Pêcheur, à Groix, ou encore les coordonnées téléphoniques (à 6 ou 8 numéros) des taxis locaux et de l’électricien du coin. Ces locaux vont momentanément servir à loger les trois premiers membres d’équipage malgaches qui sont attendus à Nantes à la fin du mois. Puis ils seront complètement vidés et les cloisons abattues afin d’agrandir la cale avec un espace de stockage de marchandises supplémentaire de 50 m². De nouveaux locaux pour l’équipage seront créés sur le pont principal.
Ultérieurement, une fois que le bateau sera à Madagascar, il est également projeté d’aménager sur le pont supérieur un « espace VIP », avec 8 cabines destinées aux passagers, dotées de lits superposés et de sanitaires.
Le pont supérieur devrait accueillir des cabines à l'avenir (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
(© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Mis au sec dans le chantier qui a vu naître le Belem
En attendant, tout ce qui est hors service, inutile ou vétuste, est débarqué. Début décembre, les travaux se poursuivront dans une cale de L’Esclain, où le bateau sera mis au sec et à l’abri afin, notamment, de réaliser son carénage, la vérification des parties immergées et la remise en peinture. Cela va constituer un petit évènement pour le chantier, qui perpétue une activité séculaire dans un lieu hautement symbolique, au cœur du patrimoine naval nantais. Surplombé par une ancienne grue classée qui a fait les grandes heures du site, L’Esclain s’est en effet implanté dans le Bas Chantenay, sur l’ancien site de Dubigeon. Employant 10 salariés et du personnel supplémentaire en fonction de la charge, le chantier travaille surtout sur l’entretien et la réparation de bateaux fluviaux, comme des barges marchandes, des péniches habitables et autres Navibus. « Pour nous, le Kreiz c’est un bateau d’un gabarit exceptionnel, auquel nous ne sommes pas habitués. Mais nous avons l’outil puisque le chantier a historiquement été dimensionné pour de grands navires, de ses cales sont par exemple sortis des sous-marins et le trois-mâts Belem », rappelle Quentin Vigneau, directeur du Chantier de L’Esclain.
Le chantier de L'Esclain (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Départ prévu à partir de février
Après sa cure de jouvence, le Kreiz devrait être prêt à reprendre la mer en février ou mars. Une fois les travaux achevés, les essais réalisés et les contrôles passés, il s’attaquera au plus grand périple de sa carrière : rien de moins que le tour d’une bonne partie de l’Afrique par le sud pour rallier l’océan Indien. « Nous préférons ne pas passer par le canal de Suez et nous rejoindrons donc Madagascar via le cap de Bonne Espérance », explique Patrick Psalida. Le vénérable transbordeur procèdera par sauts de puce, longeant la côte avec un certain nombre d’étapes. « On va prendre le temps et naviguer en fonction de la météo. L’idée est d’arriver à Majunga en mars ou avril ».
Soutenir des actions humanitaires
En plus de son caractère commercial, le projet a donc, comme évoqué au début de cet article, pris cette année une autre dimension avec la création de l’association « Des bateaux pour Madagascar », dont Grégory et Patrick Psalida sont respectivement président et secrétaire général. « Notre objectif est de palier aux besoins maritimes qui sont nombreux : il y a un manque de navires pour favoriser les échanges inter-iles et désenclaver un grand nombre de villages côtiers, accessibles uniquement par la mer. Il faut ouvrir des lignes régulières permettant à la population sa liberté de mouvement, les échanges commerciaux, l’accès aux services médicaux, et de fait, générer des emplois. Les navires mis en place seront ouverts à une collaboration avec les associations caritatives oeuvrant à Madagascar pour l’acheminement à titre gracieux de leurs personnels, matériels et dons humanitaires ».
Le Kreiz lancera cette initiative dès son départ de France. « Nous sommes en lien avec de nombreuses associations afin de profiter du voyage pour acheminer gratuitement du fret humanitaire. Le navire va par exemple transporter pendant son transit vers Majunga du matériel médical, des médicaments, des couvertures, des manuels scolaires qui seront remis sur place… »
Loïc Constantin, Patrick Psalida et Quentin Vigneau à bord du Kreiz (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Un volet artistique pour le projet
Le projet associatif comprend également un volet artistique. Loïc Constantin, qui a rencontré les frères Psalida dans les années 2000 alors qu’il baroudait en pirogue le long des côtes malgaches, a décidé de travailler sur la renaissance du Kreiz er Mor. « Ce n’est pas n’importe quel bateau. C’est un navire historique pour les Lorientais et les Groisillons, pendant 40 ans il a assuré le lien entre le continent et l’île, il y a beaucoup d’affectif autour de cette histoire », explique l’artiste, qui a passé son enfance à Belle-Ile et connait parfaitement l’importance de ces liaisons maritimes pour les insulaires. Loïc Constantin a donc entrepris de faire partager au public, à sa manière, le retour à la vie du vieux courrier, de son chantier de remise en état à son arrivée dans le canal du Mozambique. « Cela a commencé par des photos en noir et blanc, d’abord le bateau fantôme tel qu’il était encore il y a peu, maintenant sa transformation, dont je suis les étapes. L’objectif est de réaliser ensuite un grand carnet de voyage jusqu’à l’arrivée à Madagascar ». Puis il y a eu l’idée d’un grand pavois, « abécédaire maritime réinterprété en peinture en parlant du Kreiz ». Depuis le début des travaux, Loïc Constantin récupère aussi de nombreuses pièces métalliques et plastiques extraites de la vielle coque. Plutôt que de partir à la décharge, il les travaille pour en faire des sculptures, l’une de ses grandes spécialités. Membre du collectif Les Ateliers du Bouts de la Cale, plateforme artistique basée à Lorient, il espère d’ailleurs pouvoir organiser une exposition dans la ville morbihannaise que le navire a fréquenté pendant quatre décennies.
Une statue de bronze réalisée par Loïc Constantin (© LOIC CONSTANTIN)
Le navire, qui n’a pas pris la mer depuis 2010 et attendait depuis bien longtemps sous le pont de Cheviré, a été remorqué le 9 octobre au chantier de l’Esclain, où la restauration du bateau a débuté une semaine plus tard.
Le Kreiz er Mor au chantier de l'Esclain la semaine dernière (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sept ans d’attente
Construit il y a 40 ans dans l’estuaire de la Loire, au chantier Chauvet de Paimboeuf, le Kreiz er Mor, désarmé en 2008, avait été vendu en 2010 par le Conseil général du Morbihan à la compagnie Finist’Mer, qui envisageait de s’en servir pour développer de nouvelles lignes en Bretagne. Mais le bateau ne reprendra finalement pas du service et, dès 2010, des projets alternatifs émergent. Son nouveau propriétaire envisage une transformation du Kreiz er Mor en bâtiment de soutien scientifique, alors que la piste d’une exploitation pour le transport de marchandises entre Madagascar et les Comores est aussi évoquée. C’est cette dernière solution qui l’emporte et, dans cette perspective, l’ancien courrier de Groix est revendu à un armateur comorien. Le projet rencontre néanmoins des difficultés et finit par s’enliser, alors que le bateau se dégrade au fil des années dans le port de Nantes.
En 2011 à Saint-Nazaire (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
En attente dans le port de Nantes en 2012 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
En attente dans le port de Nantes en 2012 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Créer une ligne régulière au départ de Majunga
C’est en avril dernier qu’enfin, les choses bougent. De nouveaux acteurs rejoignent le projet, qui prend en plus de sa finalité commerciale une dimension associative. Entrepreneurs et armateurs à Madagascar depuis une vingtaine d’années, deux frères originaires de Marseille, Grégory et Patrick Psalida, s’associent au propriétaire du navire et organisent la remise en service du Kreiz er Mor. « Le navire assurera une liaison régulière, avec deux à trois rotations par mois, entre Majunga, sur la côte nord-ouest de Madagascar, et les Comores. Il acheminera principalement des denrées alimentaires, en particulier des légumes, et tout autre type de fret à destination du marché comorien. Il pourra aussi transporter jusqu’à 150 passagers, une capacité moindre qu’auparavant puisqu’il pouvait accueillir plus de 500 personnes sur la ligne vers Groix », explique Patrick Psalida. Le projet doit permettre de soutenir l’économie locale dans ce pays très pauvre : « Il n’existe aujourd’hui aucune liaison régulière alors qu’il y a un commerce à développer. L’idée est donc de d’inventer quelque chose qui crée du développement économique et de l’emploi ».
Un bateau tropicalisé et simplifié
Pour cela, le navire de 435 GT de jauge, long de 39 mètres pour une largeur de 10.5 mètres, est « tropicalisé ». Il faut en effet adapter l’ancien transbordeur, qui a passé 40 ans dans les eaux bretonnes, à ses nouvelles conditions d’exploitation en région chaude. Cela passe par le conditionnement d’air ou encore l’installation de prises reefer sur la plage avant, où les panneaux de cale vont être soudés, cet emplacement étant aménagé pour accueillir trois conteneurs de 20 pieds réfrigérés. Cela participe aussi de l’un des grands volets du chantier d’adaptation : simplifier le navire pour tenir compte des usages malgaches, qui ne sont pas les mêmes qu’en Europe. Ainsi, en plus de la condamnation des panneaux de cale, la grue à l’avant, qui n’a d’ailleurs du temps du service Groix-Lorient jamais vraiment servi, va être démantelée et ne sera pas remplacée. Car la manutention, à Madagascar et à Moroni aux Comores, sera essentiellement réalisée manuellement par des dizaines de personnes. Quant aux marchandises les plus lourdes, dont les conteneurs et éventuellement des véhicules, ils seront chargés et débarqués par les moyens de levage présents dans les ports desservis.
La porte de bordé sur tribord est démontée (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Plage avant (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Une partie de ce qui a déjà été extrait du Kreiz (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Et la grue n’est pas le seul équipement à quitter le bord. « On enlève tout ce qui est obsolète et qui ne sera pas remis en exploitation, avec l’idée de simplifier au maximum le bateau afin d’en faciliter l’entretien et d’éviter les problèmes de pièces détachées ». Exit par exemple le cabestan qui encombrait la plage arrière ou encore la porte de bordé par laquelle entraient et sortaient les voitures. La porte est débarquée et sera remplacée par un panneau fixe.
Le navire bat désormais pavillon malgache (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le pavillon malgache flotte déjà à la poupe
Le navire, qui ne garde de son nom d’origine que le « Kreiz » (le nom Kreiz er Mor, signifiant « au milieu de la mer » en langue bretonne, était déposé) est désormais officiellement immatriculé à Madagascar, dont le pavillon flotte à sa poupe. En tout, il pourra transporter 200 tonnes de fret dans sa cale et son ancien pont garage, en cours de réfection. Depuis la mi-octobre et le début des travaux, une quantité assez impressionnante de matériel usagé et de déchets a déjà été débarquée. « Le bateau qui est à quai depuis une dizaine d’années a beaucoup souffert extérieurement mais l’intérieur est sain », souligne Patrick Psalida. De fait, de nombreux espaces sont encore en plutôt bon état, à l’image du garage. Celui-ci est actuellement rempli de nombreux objets provenant d’autres parties du bateau, comme le mobilier du grand salon des passagers, qui va être complètement réaménagé.
Le salon des passagers (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les machines reprennent vie
Les machines, remises un temps en route après la vente du bateau par Finist’Mer, n’ont quant à elles pas bougé, comme si le temps s’y était arrêté. Les deux moteurs Crepelle de de 600 kW chacun, qui permettaient de faire marcher le Kreiz jusqu’à 12 nœuds, sont fidèles au poste. Derrière eux, on observe l’une des particularités de ce bateau, à savoir le système de stabilisation apparent installé dans la salle des machines. Celle-ci est en train de reprendre vie, comme en témoignent son PC et son petit atelier, désaffecté pendant longtemps et qui s’est regarni d’outils.
Le PC Machine (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les moteurs Crepelle et derrière le système de stabilisation (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
L'atelier des mécaniciens (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Ailleurs dans le bateau, certains locaux ont moins bien supporté les années passées à quai et devront être entièrement refaits. Un très gros travail va aussi être mené sur certaines parties techniques, en particulier l’électricité et la sécurité, qu’il faut remettre aux normes.
Beaucoup de vestiges du passé
L’ex-Kreiz er Mor conserve en tous cas beaucoup de reliques de son passé : ici un plan des ponts avec d’antiques Citroën DS matérialisées dans le garage, là ces rangées de sièges en bordé devant des sabords encore agrémentés des rideaux de l’époque. Et puis aussi cette ingénieuse infirmerie, conçue à l’origine pour l’évacuation de Groisillons gravement blessés vers les hôpitaux du continent. Une trappe avait été intégrée dans une cloison afin de pouvoir faire passer directement un brancard vers le garage et une ambulance.
La cuisine des locaux équipage (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les anciens quartiers de l’équipage n’ont, pour ainsi dire, pas vraiment bougé eux non plus. Sur la porte du carré, il y a toujours l’autocollant de l’Auberge du Pêcheur, à Groix, ou encore les coordonnées téléphoniques (à 6 ou 8 numéros) des taxis locaux et de l’électricien du coin. Ces locaux vont momentanément servir à loger les trois premiers membres d’équipage malgaches qui sont attendus à Nantes à la fin du mois. Puis ils seront complètement vidés et les cloisons abattues afin d’agrandir la cale avec un espace de stockage de marchandises supplémentaire de 50 m². De nouveaux locaux pour l’équipage seront créés sur le pont principal.
Ultérieurement, une fois que le bateau sera à Madagascar, il est également projeté d’aménager sur le pont supérieur un « espace VIP », avec 8 cabines destinées aux passagers, dotées de lits superposés et de sanitaires.
Le pont supérieur devrait accueillir des cabines à l'avenir (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
(© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Mis au sec dans le chantier qui a vu naître le Belem
En attendant, tout ce qui est hors service, inutile ou vétuste, est débarqué. Début décembre, les travaux se poursuivront dans une cale de L’Esclain, où le bateau sera mis au sec et à l’abri afin, notamment, de réaliser son carénage, la vérification des parties immergées et la remise en peinture. Cela va constituer un petit évènement pour le chantier, qui perpétue une activité séculaire dans un lieu hautement symbolique, au cœur du patrimoine naval nantais. Surplombé par une ancienne grue classée qui a fait les grandes heures du site, L’Esclain s’est en effet implanté dans le Bas Chantenay, sur l’ancien site de Dubigeon. Employant 10 salariés et du personnel supplémentaire en fonction de la charge, le chantier travaille surtout sur l’entretien et la réparation de bateaux fluviaux, comme des barges marchandes, des péniches habitables et autres Navibus. « Pour nous, le Kreiz c’est un bateau d’un gabarit exceptionnel, auquel nous ne sommes pas habitués. Mais nous avons l’outil puisque le chantier a historiquement été dimensionné pour de grands navires, de ses cales sont par exemple sortis des sous-marins et le trois-mâts Belem », rappelle Quentin Vigneau, directeur du Chantier de L’Esclain.
Le chantier de L'Esclain (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Départ prévu à partir de février
Après sa cure de jouvence, le Kreiz devrait être prêt à reprendre la mer en février ou mars. Une fois les travaux achevés, les essais réalisés et les contrôles passés, il s’attaquera au plus grand périple de sa carrière : rien de moins que le tour d’une bonne partie de l’Afrique par le sud pour rallier l’océan Indien. « Nous préférons ne pas passer par le canal de Suez et nous rejoindrons donc Madagascar via le cap de Bonne Espérance », explique Patrick Psalida. Le vénérable transbordeur procèdera par sauts de puce, longeant la côte avec un certain nombre d’étapes. « On va prendre le temps et naviguer en fonction de la météo. L’idée est d’arriver à Majunga en mars ou avril ».
Soutenir des actions humanitaires
En plus de son caractère commercial, le projet a donc, comme évoqué au début de cet article, pris cette année une autre dimension avec la création de l’association « Des bateaux pour Madagascar », dont Grégory et Patrick Psalida sont respectivement président et secrétaire général. « Notre objectif est de palier aux besoins maritimes qui sont nombreux : il y a un manque de navires pour favoriser les échanges inter-iles et désenclaver un grand nombre de villages côtiers, accessibles uniquement par la mer. Il faut ouvrir des lignes régulières permettant à la population sa liberté de mouvement, les échanges commerciaux, l’accès aux services médicaux, et de fait, générer des emplois. Les navires mis en place seront ouverts à une collaboration avec les associations caritatives oeuvrant à Madagascar pour l’acheminement à titre gracieux de leurs personnels, matériels et dons humanitaires ».
Le Kreiz lancera cette initiative dès son départ de France. « Nous sommes en lien avec de nombreuses associations afin de profiter du voyage pour acheminer gratuitement du fret humanitaire. Le navire va par exemple transporter pendant son transit vers Majunga du matériel médical, des médicaments, des couvertures, des manuels scolaires qui seront remis sur place… »
Loïc Constantin, Patrick Psalida et Quentin Vigneau à bord du Kreiz (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Un volet artistique pour le projet
Le projet associatif comprend également un volet artistique. Loïc Constantin, qui a rencontré les frères Psalida dans les années 2000 alors qu’il baroudait en pirogue le long des côtes malgaches, a décidé de travailler sur la renaissance du Kreiz er Mor. « Ce n’est pas n’importe quel bateau. C’est un navire historique pour les Lorientais et les Groisillons, pendant 40 ans il a assuré le lien entre le continent et l’île, il y a beaucoup d’affectif autour de cette histoire », explique l’artiste, qui a passé son enfance à Belle-Ile et connait parfaitement l’importance de ces liaisons maritimes pour les insulaires. Loïc Constantin a donc entrepris de faire partager au public, à sa manière, le retour à la vie du vieux courrier, de son chantier de remise en état à son arrivée dans le canal du Mozambique. « Cela a commencé par des photos en noir et blanc, d’abord le bateau fantôme tel qu’il était encore il y a peu, maintenant sa transformation, dont je suis les étapes. L’objectif est de réaliser ensuite un grand carnet de voyage jusqu’à l’arrivée à Madagascar ». Puis il y a eu l’idée d’un grand pavois, « abécédaire maritime réinterprété en peinture en parlant du Kreiz ». Depuis le début des travaux, Loïc Constantin récupère aussi de nombreuses pièces métalliques et plastiques extraites de la vielle coque. Plutôt que de partir à la décharge, il les travaille pour en faire des sculptures, l’une de ses grandes spécialités. Membre du collectif Les Ateliers du Bouts de la Cale, plateforme artistique basée à Lorient, il espère d’ailleurs pouvoir organiser une exposition dans la ville morbihannaise que le navire a fréquenté pendant quatre décennies.
Une statue de bronze réalisée par Loïc Constantin (© LOIC CONSTANTIN)
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