Guy Bernardin marin atypique porté disparu


Suite à la découverte de son voilier vide au large des côtes du Massachusetts (Etats-Unis), Guy Bernardin est porté disparu. Avec lui, c’est un pan de la voile en solitaire qui s’en va. Marin solide, au physique rude et noueux et à la double nationalité française et américaine, Guy Bernardin s’était lancé dans la course au large à la fin des années 70, dans la foulée du bel exploit que constitua une longue navigation entre Los Angeles et Saint-Malo à bord d’un Pic 26, sorte de Dragon ponté californien long de 7,80 m.
Guy BernardinGuy Bernardin, âgé de 74 ans, était parti seul de Caroline du Nord le 8 août dernier, son dernier signe de vie remontant au 15 du même mois.Photo @ DR

C’est que jeune homme, Bernardin a de la suite dans les idées. Deux ans avant cet étonnant convoyage, il avait en effet assisté à Newport à l’arrivée victorieuse d’Alain Colas, au terme de la Transat anglaise, se promettant d’y participer quatre ans plus tard. Il en attendra huit avant de finalement participer à l’Ostar 1980 à bord d’un bateau de 38 pieds, dessiné par François Chevalier et construit par ses soins et ceux de son père, Ratso II… L’anagramme du nom de ce voilier démontre l’obsession que nourrissait alors Bernardin !
Après avoir décroché la 44e place sur 90 partants, il enchaîne la Twostar 1981 puis surtout le BOC Challenge 1982, toujours à bord de Ratso II, plus petit bateau engagé dans le premier tour du monde en solitaire et avec escales. Il se classe 4e de sa catégorie après un total de 221 jours de mer. Et non sans de sacrées aventures, comme lorsqu’il manqua de faire naufrage en pleine tempête sur l’île des Etats.
Il s’agit là de la première de ses cinq circumnavigations et du premier de ses six passages du cap Horn.

Les skippers français du BOC Challenge 1986 à NewportSur Goat Island, près de Newport, les six skippers français ayant participé au BOC Challenge 1986. De gauche à droite : Titouan Lamazou, Guy Bernardin (alors sous les couleurs de Biscuits Lu), Philippe Jeantot (vainqueur de cette deuxième édition), Jean-Yves Terlain, Jean-Luc van Den Heede et le malheureux Jacques de Roux qui devait disparaître en mer peu après.Photo @ Christian Février

Changement total de décor quatre ans plus tard, où il prend part au deuxième BOC à bord d’un splendide 60 pieds dessiné spécifiquement par Joubert-Nivelt, construit par MAG France. À bord de Biscuits Lu, il ne peut faire mieux que 4e derrière Jeantot, Lamazou et Terlain.
Infatigable, Bernardin se lance début 1988 sur les traces d’un record jugé inatteignable et qui fait alors fantasmer : celui du clipper Flying Cloud entre New York et San Francisco. Las, deux jours après le cap Horn, son bateau se plante dans une énorme lame, le mât se brise puis perfore la coque, qui coule corps et biens ! Sautant dans son radeau de survie avec une balise Argos, il est récupéré 24 heures plus tard par la marine chilienne.
Cela ne l’émeut pas plus que cela. Il rachète alors d’occasion un 60 pieds sur plans Farr et retourne affronter Flying Cloud… renonçant une fois de plus en Patagonie sur problème de quille, cette fois !

A l’arrache, il parvient in extremis à trouver un budget pour être, à bord de ce bateau, au départ du premier Vendée Globe. Il imagine ce tour du monde comme une Longue Route à la Moitessier, bien décidé à ne pas descendre sous le 45e Sud alors que les premiers flirtent avec les 60es. Fidèle à sa réputation de taiseux, il appelle rarement la terre et déplore la philosophie de la course. «Nous ne vivons pas la même aventure, lâche-t-il dans une de ses rares vacations. Les régatiers prennent le dessus sur les marins. C’est dommage.»
O"kayInscrit de la dernière heure, Guy Bernardin prit le départ du premier Vendée Globe Challenge en 1989 grâce à un sponsor - O'Kay - trouvé in extremis.Photo @ Christian Février

Poursuivi par la malchance, une terrible rage de dents le contraint à relâcher en Australie pour se faire soigner. À peine remis, il quitte Hobart sur son O’Kay et met le cap sur la France, son obsession étant alors de virer de nouveau le Horn qui le fit tant souffrir peu avant.
Et s’il dispute encore la Route du Rhum 1990 (16e), la course au large n’est plus pour lui. Il veut juste naviguer, renouer avec le savoir-faire des anciens, comme ceux de son grand-père cap-hornier, à l’image de cette étonnante navigation solitaire entre Valparaiso et Nantes en 1992.

Fasciné par Joshua Slocum et ses récits de voyage – à commencer par son chef-d’œuvre, «Seul autour du monde sur un voilier de 11 mètres», – Guy Bernardin dégote aux Etats-Unis une réplique fidèle du fameux Spray du marin américain. Baptisé Scud, ce bateau avait été lancé à la fin des années 60 dans le Connecticut. Il le rebaptise Spray of Saint-Briac, en honneur à sa ville natale, s‘élance tout d’abord pour une longue navigation familiale à travers l’Atlantique Nord avec femme et enfant, avant d‘entreprendre une nouvelle et infinie circumnavigation à son bord, longue de quinze mois, cent ans précisément après celle de Slocum. Il a remis le couvert, mais seul cette fois, et par les trois caps, entre 2005 et 2008. Jamais il n'arrêtait de prendre le large, alternant en plus l'écriture de ses aventures avec des conférences en ses ports d'escale.
BernardinEn 2010, Guy Bernardin était revenu à Saint-Briac, sa ville natale, avec son fameux Spray of Saint-Briac, magnifique réplique du Spray de Joshua Slocum.Photo @ Archives Ouest-France

Le 9 août dernier, peu de temps avant de fêter ses 74 ans, il avait appareillé de South Port en Caroline du Nord à bord du Crazy Horse, bateau d’une quinzaine de mètres qu’il venait d’acquérir, en destination de La Turballe. Ce voilier a été retrouvé vide voici quelques jours, le radeau de survie étant à bord, à quelque 720 milles du cap Cod. Sa dernière position connue remontait au 15 août dernier avant que le Cross Griz Nez émette un «avis d’inquiétude» le 18 septembre. À son bord, Guy Bernardin comptait commémorer à sa manière l’année prochaine les 50 ans de la Longue Route de Bernard Moitessier. Une épopée, une de plus, que ce marin si fidèle aux sources de la navigation ne pourra hélas mener.

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