Mer blanche de Roy Jacobsen


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Par-delà le cercle polaire, l’amour sans les mots




ROMAN ETRANGER - Sur l'île nordique de Barrøy, au-delà du cercle polaire, les mots se font rares. On les tient serrés contre soi comme des vêtements que le gel durcit. Mais les émotions jaillissent, vives, coupantes.

Dans la Norvège occupée de novembre 1944, avec ses villes bombardées et brûlées, ses réfugiés errant de port en port, ses trafics, la guerre vient s'échouer jusque sur les rochers de cette petite île perdue, près des Lofoten.
  Elle a été délaissée par ses habitants, la famille de Hans Barrøy, dont Roy Jacobsen a commencé à nous conter l'existence dans « Les Invisibles » (1997, sorti en Folio ce printemps, NDLR). Une existence dure, une vie de peu, dominée par la force d'une nature souvent violente et imprévisible, mais aussi belle et généreuse lorsqu'on parvient à trouver des accommodements avec elle pour pêcher du poisson, cueillir des baies ou récolter dans les nids des eiders (canards sauvages) le duvet destiné aux couettes.
  Nous retrouvons Ingrid, la dernière à s'être résolue à partir. Elle a 35 ans et travaille des heures durant à saler du poisson. Un matin, elle brûle ses vêtements - geste qu'elle refera souvent à des moments charnières - et regagne toute seule son île à la rame. Elle rouvre sa maison, reprend le mode de vie de sa famille de pêcheurs-paysans, va poser ses filets.
  Jusqu'au naufrage près de son île d'un navire transportant des soldats allemands et des prisonniers russes.
  Les vagues lui apportent un amoureux magnifique, un jeune Russe blessé qu'elle soigne et qui lui écrit des mots mystérieux dans sa langue. Elles transportent aussi des cadavres et des ennemis et finissent par emporter Ingrid dans de terribles tribulations avant de la ramener à nouveau à Barrøy après une année épouvantable. Pour y faire renaître la vie.
Ce roman norvégien âpre et elliptique, auquel nous avons accès grâce à la traduction d'Alain Gnaedig, nous donne à ressentir de l'intérieur cette existence insulaire si fragile, tissée de solidarité et de solitude, ballotée au gré des vents, de la mer et des autres humains. Il dresse aussi un splendide portrait de la fruste Ingrid, cette « femme remarquable », « mon enfant de la nature », comme dit le médecin qui la soigne un temps et tient à se faire photographier avec elle en studio sur un fond de verger en fleurs, au creux de l'hiver et de la guerre.
Ingrid conduit sa barque seule, invite dans son lit ceux qu'elle choisit, s'isole pour donner naissance au fond d'un canot. Elle panse les blessures du rescapé du naufrage, couvre les cadavres pour empêcher les aigles de les dévorer, recueille une adolescente qui va mourir et s'emploie à faire revenir tous ses proches éparpillés par la guerre.
  Dans son île où les humains remplacent les chevaux pour s'atteler à la charrue, la mémoire n’est pas une prison mais sert de passerelle. Comme ces trois coffres, venus du père, du grand-père et de l'arrière-grand-père, qu'elle donne en viatique à de jeunes réfugiés repartant après avoir bâti de nouvelles maisons.
  « Vivre sur une île, c'est chercher », écrit Jacobsen. Chercher peut-être le sens d’une existence, équation pleine d’inconnues et d’éléments disparates auxquels le temps pourrait finir par donner une forme.
  Comme les écailles sur le dos d'un poisson.
Laure Amblesec
Roy Jacobsen, trad. norvégien Alain Gnaedig – Mer blanche – Gallimard – 9782072785580 – 21 €
Roy Jacobsen, trad. norvégien Alain Gnaedig – Les invisibles – Folio – 9782072823022 – 7.40 €

Pour approfondir

Editeur : Gallimard
Genre :
Total pages : 260
Traducteur : alain gnaedig
ISBN : 9782072785580

Mer blanche

de Roy Jacobsen
chapitres
"Barrøy est une terre du silence, les adultes n'expliquent pas aux enfants ce qu'ils doivent faire, ils le leur montrent." Novembre 1944. Le MS Rigel, qui transporte des troupes allemandes et des prisonniers russes, est coulé au nord de la Norvège. Des milliers de soldats périssent, mais quelques naufragés survivent. L'un d'eux, échoué sur les rives de Barrøy, va être soigné par Ingrid.
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