Acidification des océans. L'Ifremer à la pointe - Brest


On évoque le réchauffement climatique, l'élévation du niveau et de la température de l'eau, mais moins souvent l'acidification de l'eau de mer. Des chercheurs brestois du Lemar mesurent les effets de cette acidification sur la physiologie des poissons et des coquillages. Leurs premiers résultats sont édifiants.

Encore un domaine de pointe à Brest ! Une dizaine de chercheurs de l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) et de l'UBO (Université de Bretagne occidentale) essayent d'en savoir plus sur les effets de l'acidification des océans sur les poissons (bars) et les coquillages (huîtres creuses).
Alors que le pH (potentiel hydrogène) de l'eau de mer continue de diminuer à l'échelle de la planète, les chercheurs du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) prévoient une accélération du phénomène d'ici 2100. Ils prédisent une acidification de l'ordre de quelques dixième de points, soit une diminution du pH relativement faible mais significative sur les organismes marins. D'où l'intérêt de mesurer précisément les effets de ce phénomène sur des organismes très sensibles à leur environnement.

Conséquences de l'adaptation

Les océans absorbent une certaine quantité du dioxyde de carbone (CO2) issu de l'activité humaine. Réchauffement et acidification restent intimement liés. Si le phénomène est général à l'échelle de la planète, il n'est pas parfaitement homogène puisque les mers fermées et les zones les plus proches des activités humaines et industrielles présentent des taux d'acidité plus importants. À Brest, l'Ifremer, qui pompe son eau de mer à l'entrée de la rade (60 m³ par jour pour alimenter ses nombreux bassins), la descente est également amorcée. Elle pourrait être de 0,3 point pour 2050 et de 0,3 point supplémentaire en 2100.
« Cette augmentation de l'acidité ne va pas décimer brutalement la flore marine », résume José-Luis Zambonino, directeur de recherches à L'Ifremer... Mais c'est important de voir comment les organismes marins s'adaptent à cette nouvelle donne. Les comportements et la reproduction notamment s'en trouveront-ils modifiés ? Les espèces sauront-elles s'adapter ? Et comment ?
À l'Ifremer, on emploie les grands moyens autour d'une expérience menée au long cours, démarrée il y a cinq ans et encore programmée pendant deux ans.
Des expériences sur des requins, des poissons tropicaux ou des coraux ont bien été menées à l'autre bout de la planète, mais l'étude de Plouzané, autour des bars et des huîtres, est bien une première mondiale. « Jamais des chercheurs n'ont été en mesure d'observer les modifications physiologiques de poissons soumis à des acidifications différentes sur une aussi longue période », confirme Guy Claireaux, spécialiste de la physiologie des poissons pour l'UBO et le Lemar (Laboratoire des sciences de l'environnement marin).

Larves plus petites

Au tout début de l'expérience, des oeufs de bar ont été immergés dans des bassins de températures et de pH variés (le 8,1 d'aujourd'hui, le 7,8 des estimations pour 2050 et le 7,6 de 2100). Dès le développement des larves, les chercheurs ont tenté de déceler les différences en fonction des pH reproduits. La première génération issue des bars élevés pendant plus de quatre ans dans une eau plus acide présente déjà des différences. Dans l'eau plus acide, les oeufs restent moins longtemps en surface. « La plupart se retrouvent au fond et éclosent quand même ». Gardent-ils les mêmes chances de survie ? Seront-ils plus vulnérables à la prédation ?
Après analyse au microscope, les larves de bars évoluant dans des eaux plus acides affichent des densités d'ossification visiblement plus importantes. Leur vitesse de nage ainsi que leur taille diminue dans un pH plus faible. Rattraperont-elles ce retard de croissance ?

Moins regroupés

Également visible à l'oeil nu, le comportement des poissons est différent dans une eau où l'acidité est plus forte. Très regroupés à 8,1 de pH, ils évoluent de manière largement plus espacée dans une eau plus acide (7,6). Ces différences de comportement joueront-ils sur les conditions de développement de l'espèce ? Les modifications physiologiques et les efforts pour s'adapter à cette eau plus acide et plus chaude auront-ils des conséquences sur l'espèce ?
Les observations continuent à Plouzané. L'arrivée des prochaines générations est attendue avec impatience. Ces résultats seront scrutés dans le monde entier.
en complément
Sept ans d'étude pour une première mondiale
Jamais une expérience aussi poussée n'a été menée sur une espèce à long cycle de vie, à fort intérêt commercial et pour un poisson situé aussi haut dans la chaîne tropique marine. L'Ifremer de Plouzané s'est lancé dans cet exigeant programme il y a cinq ans. Cinq années à élever des géniteurs (à partir de larves) qui viennent tout juste de produire leur toute première génération.
À la surveillance quotidienne (nourrissage, contrôle de la qualité de l'eau pompée dans la rade et maintien du pH exigé dans chaque bassin) se superposent des prélèvements et expériences diverses afin de comparer les physiologies des poissons évoluant dans des bassins de différentes acidités et températures, rechercher les déséquilibres et identifier les éventuelles modifications internes. L'incendie qui a touché une partie de laboratoire il y a quelques années a bien failli mettre un terme à l'expérience.
Le plus grand soin continue d'être porté à la centaine de géniteurs répartis dans différents bassins et aux 20.000 larves soumises à des températures et à des degrés d'acidité différents.
Huître en milieu acide : calcification ralentie
L'incidence de l'acidification de l'eau de mer sur les organismes calcifiants (coquillages, oursins, maërl, etc.), tous les organismes vivants qui produisent de la coquille, est connue depuis quelques années. Les spécialistes ont clairement établi qu'une eau de mer plus acide abaisse la capacité des coquillages à produire de la coquille. Cette dernière met plus de temps à se développer et est plus fragile. Sa croissance est plus lente et offre moins de résistance aux prédateurs éventuels.
Comme pour les poissons, une équipe du Lemar soumet à l'huître creuse une immersion dans une eau plus ou moins chargée en CO2. L'expérimentation a commencé en janvier dernier. Mais le cycle de vie plus court de l'huître, comparé à celle du bar, devrait permettre d'enchaîner rapidement l'observation de plusieurs générations évoluant dans des eaux à différents degrés d'acidité.
Comment les huîtres s'adaptent-elles à cette évolution du pH ? Quelles fonctions physiologiques se trouvent-elles modifiées ? « On démarre cette expérience passionnante », résume Fabrice Pernet, coordinateur du projet Huîtres-acidification à l'Ifremer. Le phénomène intéresse au premier chef les scientifiques et les ostréiculteurs. Et bien d'autres puisque tous les coquillages sont concernés par ce ralentissement de la calcification (taille et solidité) dans un contexte croissant d'acidification des océans.
Le phénomène peut-il autant concerner les palourdes, les praires et les coquilles Saint-Jacques ? Quelles stratégies d'adaptation les coquillages vont-ils mettre en place ? Faudra-t-il adapter leurs conditions d'élevage ?


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