Des peintres coloniaux aux Instagrameurs, les clichés sont-ils les mêmes?



L'exposition «Peintures des Lointains» est présentée au musée du quai Branly - Jacques Chirac jusqu'au 6 janvier 2019. — musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde
Le monde est de plus en plus petit. Tout est beaucoup plus simple pour qui veut partir à la découverte de terres lointaines. Et pour ceux qui n’ont pas l’opportunité de se déplacer, à travers les innombrables photos et vidéos publiées sur Instagram par des voyageurs, les paysages viennent à eux.
Mais il y a 100 ans, pour se figurer le reste du monde, il fallait faire confiance aux peintures de ceux qui étaient partis à leur découverte de l’autre côté de la Terre. Jusqu’au 6 janvier 2019, le musée du quai Branly - Jacques Chirac propose l’exposition Peintures des Lointains, avec des œuvres issues de l’exposition coloniale de 1931. Cliché ou réalité ? Les artistes les peignaient-ils sans les stéréotyper ? Et ces clichés perdurent-ils en 2018 chez les instagrameurs ?

Peintres de propagande

« En réalité ces œuvres étaient utilisées dans des expositions de propagandes pour les Français », explique Sarah Ligner, conservatrice du patrimoine et commissaire de Peintures des lointains. « Certains des peintres voyageaient indépendamment, d’autres étaient peintres de marine ou étaient envoyés en mission par le ministère des Colonies au XIXe siècle. Il y en avait aussi qui recevaient des bourses de séjour au XXe siècle ».
Dans les premières galeries de l’exposition, l’attention se porte rapidement sur un tableau si précis qu’on en croirait un poster, tant la lumière qu’il dégage semble réelle. « L’artiste de “Mosquée dans la Basse Egypte” est allé au Caire. Il s’est inspiré de beaucoup de choses dans l’environnement, et n’a réalisé ses croquis qu’en rentrant chez lui », explique la conservatrice.
«Mosquée dans la Basse Egypte», actuellement au musée du quai Branly.
«Mosquée dans la Basse Egypte», actuellement au musée du quai Branly. - musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain
Aujourd’hui, par exemple, les filtres Instagram permettent de gommer le smog de pollution et donner un éclat suspect au ciel cairote.

Accessibilité et exotisme

À l’époque, les Français rêvaient à travers ces toiles, et de nombreux poètes et écrivains les commentaient. Mais, pour pouvoir peindre « Le cirque de Cilaos » à la Réunion, Marcel Mouillot a visité les montagnes, difficiles à gravir, en chaise à porteur.
«Le Cirque de Cilaos» par Marcel Mouillot, actuellement au musée du quai Branly.
«Le Cirque de Cilaos» par Marcel Mouillot, actuellement au musée du quai Branly. - musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain
Un paysage qui n’a pas tellement changé, si ce n’est les infrastructures qui ont poussé autour, et est surtout beaucoup plus accessible. Et ça, ça « fait plaiz ».

Au-delà des paysages, les autochtones

François-Auguste Biard, qui a visité le Brésil entre 1858 et 1860 a débuté son voyage par Rio de Janeiro. Mais il rêvait d’aventure et de régions plus sauvages. « En longeant l’Amazone, il a aperçu deux Amérindiens », explique Sarah Ligner. Ému par la tranquillité des habitants des lieux, il a peint « Deux Indiens en pirogue ».
«Deux indiens en pirogues» par François-Auguste Biard, actuellement au Quai Branly.
«Deux indiens en pirogues» par François-Auguste Biard, actuellement au Quai Branly. - musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Enguerran Ouvray
Aujourd’hui, les autochtones intéressent moins les photographes amateurs qui préfèrent se concentrer sur les couleurs vives des bateaux et de paysages de l’Amazone.

Costumes et coutumes

Sur le continent asiatique, l’artiste Lucien Lièvre, lauréat de la bourse d’Indochine, a peint le portrait d’un homme sur une barque, coiffé de son chapeau traditionnel. Sa toile s’intitule « Baie d’Along ». « En général, les artistes qui obtenaient des bourses de voyage devaient enseigner dans l’école des Beaux-Arts », souligne au passage la commissaire de l’exposition.
«Baie d'Along» par Lucien Lièvre, actuellement au musée du quai Branly.
«Baie d'Along» par Lucien Lièvre, actuellement au musée du quai Branly. - musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain
Aujourd’hui encore, le chapeau chinois fait son petit effet aux voyageurs qui ne peuvent s’empêcher d’immortaliser les pêcheurs ainsi coiffés.

Ne pas voyager mais imaginer

Certains artistes, peu nombreux, ont toutefois tenté de peindre la réalité uniquement par le biais de l’imagination. Jean Dunand, artiste décorateur, a créé pour une exposition un décor qui évoque la faune et la flore exotiques. Pourtant, aussi ressemblant que cela puisse paraître avec la nature, toutes ses représentations ne sont que le fruit de son imagination. « C’est un peu comme le douanier Rousseau : il n’a jamais voyagé dans des pays lointains », s’amuse Sarah Ligner. « Pourtant, Jean Dunand travaille la laque, une technique du Moyen-Orient encore utilisée au Japon, qui consiste à couvrir le support de résine, et à ensuite ôter la matière pour créer les motifs ».
«Tigre à l'affût» par Jean Dunand, actuellement au musée du quai Branly.
«Tigre à l'affût» par Jean Dunand, actuellement au musée du quai Branly. - musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine
Aujourd’hui encore, les animaux ont un succès fou chez les Instagrameurs, qui pense faire œuvre d’éthologie en immortalisant des fauves aperçus dans des zoos.
À l’instar d’un rapide passage sur Instagram avec les mots-dièse #trip ou #voyage, l’exposition Peintures des Lointains permet de remonter le temps et faire voyager sur plusieurs continents : l’Asie, l’Afrique, l’Amérique du Sud et les îles Maurice et de La Réunion.

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