BD. Emmanuel Lepage dans l'enfer d'Ar-Men





Existe-t-il un lieu plus mythique en Bretagne qu’Ar-Men ? C’est le phare de la chaussée de Sein qu’Emmanuel Lepage a choisi comme décor pour son nouvel album. Le scénariste et dessinateur briochin y revisite les grands mythes bretons (la ville d’Ys, l’Ankou) mais aussi l’histoire des constructeurs de phares et des premiers compagnons de la France Libre. Une BD extraordinaire à découvrir en pré-publication dans Le Télégramme.

C’est la première fois que le Costarmoricain Emmanuel Lepage choisit la Bretagne comme décor pour un de ses albums. Et pas n’importe quel lieu ! Ar-Men. Le phare le plus emblématique de la région, construit au terme d’un d’exploit architectural et humain sur une roche affleurante aux seules grandes marées, à l’extrémité de la chaussée de Sein. Un lieu impressionnant qui défie les éléments, les tempêtes et la rationalité. « L'enfer des enfers » pour ses gardiens et un huis clos rêvé pour tous les écrivains et les scénaristes de BD ou de cinéma.

Un film comme étincelle

Tout a débuté par un court séjour sur le phare. Normal pour un reporter BD comme Emmanuel Lepage, qui donne très souvent naissance à ses albums suite à ses voyages dans des lieux hors du commun comme l’Antarctique où Tchernobyl. Transféré en février 2015 sur Ar-Men, pour les besoins d’un petit film de fiction réalisé par Hervé Jouon pour Thalassa, il y joue son propre rôle : celui d’un dessinateur qui vient travailler in situ pour les besoins d’un album. Dès la diffusion du film, Claude Gendrot, son éditeur chez Futuropolis, l’appelle et lui demande : « Alors ? Le livre on le sort quand ? ». Encore fallait-il trouver le moyen narratif pour éviter de faire un simple récit historique dans le genre « Les belles histoires de l’oncle Paul ». Pas le genre d’Emmanuel Lepage !

Un gros travail documentaire

« Un feu s’allume sur la mer » d’Henri Queffélec, récit autour de la construction du phare, et « Armen » de Jean-Pierre Abraham, ancien gardien, sont les deux livres de chevet qui ont beaucoup inspiré Emmanuel Lepage. Tout comme deux rencontres décisives avec Ambroise Menou, l’ancien médecin de l’île de Sein, et Jean-Yves Le Brun, fils d’un ancien gardien de phare possédant une documentation exceptionnelle. Enfin, Emmanuel Lepage voulait évoquer les grands mythes de la Bretagne comme ceux de la ville d’Ys, du roi Gradlon, de Saint Guénolé et bien évidemment l’inévitable Ankou ! Pour ce faire, il a donc épluché tous les grands textes bretons comme ceux d’Anatole Le Braz ou du Barzaz Breiz.

L’histoire que les lecteurs du Télégramme vont découvrir au jour le jour s’articule autour de Germain, le gardien d’Ar-Men qui, lors de son long séjour en novembre 1962, calfeutré dans la chambre de veille située juste sous la lentille, raconte des histoires à sa fille qui l’accompagne. Des histoires sur les mythes bretons, mais aussi celle des constructeurs du phare grâce à un texte découvert lors d’une tempête qui endommage le crépi et met au jour le récit d’un enfant de l’île de Sein : Moises. Sont également abordés l’incendie de 1923 et le départ des hommes de l’île de Sein pour Londres lors de la Seconde guerre mondiale.

Une véritable œuvre d’art

Chaque époque est évoquée avec des graphismes et couleurs différents. Un travail de Titan. En huit mois, à raison d’une page par jour (dessin noir et mise en couleurs) et 16 heures quotidiennes sur la table à dessin, Emmanuel Lepage a réalisé un album exceptionnel, d’une rare beauté, véritable hymne à la Bretagne et à la pointe du Finistère. Une gageure physique exigeant une ascèse totale. « J’aime cet état d’urgence, de concentration maximum. Cela donne de la cohérence. Parfois, j’étais proche d’un état de transe ! J’ai beaucoup aimé travailler sur le mythe de la ville d’Ys, sur son interprétation, sur sa représentation au Moyen-Age », explique l’auteur.
BD. Emmanuel Lepage dans l'enfer d'Ar-Men
Sa maîtrise de la couleur directe, l’intensité de son dessin, la force et l’originalité de son récit font d'« Ar-Men » une véritable œuvre d’art, qui marquera l’histoire de la bande dessinée bretonne. La BD, dont certaines planches sont encore en cours de réalisation, ne sortira en librairie que le 16 novembre prochain. Et déjà, d’autres projets sont dans les cartons.

Une histoire personnelle à venir

Avec ses précédents albums comme « Muchacho », « Les Voyages d’Ulysse », « Un printemps à Tchernobyl »,« Voyage aux îles de la Désolation » ou « La lune est blanche », Emmanuel Lepage s’est aujourd’hui imposé comme l’un des auteurs les plus emblématiques de la BD française contemporaine. Mais il lui manquait un ouvrage sur la Bretagne, lui qui réside à Plourhan dans les Côtes-d’Armor. C’est chose faite. Et dans les semaines à venir, il va enchaîner sur une histoire très personnelle qui lui tient beaucoup à cœur. Celle de son enfance passée dans une communauté dans la périphérie de Rennes, à Betton. Un projet qu’il porte en lui depuis 25 ans et qui lui changera du tumulte de l’océan et du raz de Sein qu’il a peint si merveilleusement. Comme si ses précédents albums sur les mers australes lui avaient permis de percer le mystère des tempêtes et des vagues. Heureux homme !

          

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