À bord du SOS Méditerranée, «il s’agit simplement de gens qui sauvent leur peau»


 
« En août 2016, j’ai candidaté pour partir sur l’«Aquarius». On parlait au quotidien de tous ces drames au large de la Libye, c’était une évidence pour moi d’embarquer à bord, vu mon expérience d’infirmier et de marin. D’un point de vue humain, c’est absolument insoutenable de savoir que des gens meurent noyés tous les jours parce qu’ils fuient la guerre, la torture, la concentration, l’esclavage. Avant d’être à bord, je voulais embarquer parce que personne ne se bougeait et que le premier devoir du marin, c’est de sauver quelqu’un de la noyade. C’est un impératif absolu.
Ce qu’on voit sur le bateau est indicible : des gens qui sortent de camps, qui sont blessés par balle, qui ont le regard vide, hagards, avec des membres cassés parce que les passeurs chargent les bateaux à coups de barre à mine. Ils nous tombent dans les bras quand ils arrivent. Ça rappelle les images de la guerre et des camps de concentration, c’est glaçant. Comment des humains peuvent faire ça à d’autres humains ?
À bord, il y a trois équipes : l’équipage, les membres de MSF (Médecins sans frontières) et ceux de SOS Méditerranée. On a deux petits bateaux rapides avec lesquels on va récupérer les gens dans des embarcations de fortune. On revient à bord, on s’occupe de tout, on distribue les repas, on écoute et on rassure les rescapés. On constitue un trait d’union entre l’horreur libyenne, qu’ils quittent, et l’angoisse de l’arrivée en Europe, avec toutes leurs interrogations sur la suite.
« Les gamins, ça pourrait être ma nièce, mes futurs enfants, ma femme, moi… »
Juste après le sauvetage, le traumatisme et la mort restent très présents. Mais quelques heures après, la vie reprend le dessus, on parle ensemble, on rigole. Jusqu’à l’arrivée en Italie où l’angoisse de l’inconnu ressurgit. J’ai un grand respect pour les Italiens qui gèrent seuls cette situation.
En tant que marin, j’ai beaucoup appris. SOS Méditerranée a développé une triste spécialité dans le sauvetage de masse et de récupération des personnes, vivantes ou mortes. J’aborde mon métier différemment. Sur le plan humain, je retiens que c’est la vie qui gagne. J’ai fait des rencontres extraordinaires sur ce bateau, j’ai connu des émotions merveilleuses. J’ai rencontré l’humanité d’une manière nouvelle. Malgré l’horreur, les viols, les tortures, c’est quand même la vie qui gagne, ce qui fait que l’humanité est belle. Souvent, les rescapés nous demandent comment nous remercier, je réponds juste que s’il m’arrivait la même chose, j’aimerais que les gens fassent pareil pour moi. Il s’agit simplement de gens qui sauvent leur peau. Les gamins, ça pourrait être ma nièce, mes futurs enfants, ma femme, moi… Tu n’as plus de toit, tu es sous les bombes, c’est la guerre. L’Aquarius, finalement, n’est qu’un pansement sur une situation tellement plus grave. »

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