Jean Maurel n'est plus. Le monde de la course au large en deuil





Dimanche soir, Jean Maurel (51ans), navigateur et directeur de course, a tiré son dernier bord. Un long bord vers le large.


Pour la jeune génération, Maurel était ce directeur de course intransigeant, mais juste, toujours à l'écoute des marins. Pour les autres, plus anciens, il était surtout un très bon marin au palmarès bien fourni.

Douloureux chavirage

Pour tous ceux qui l'ont côtoyé, Jean Maurel était de ces personnages qui ne laissaient pas indifférent. Droit, franc, il n'y allait pas par quatre chemins face à son interlocuteur. «T'as écrit une connerie dans ton journal ce matin!». C'était parfois sa façon de dire bonjour. A un confrère qui lui demandait pourquoi il avait pris la décision de retarder le départ d'une transat, il répondait ceci: «Si je donne le départ dans ces conditions très musclées et qu'un marin perd la vie le lendemain, vous serez le premier à m'en faire reproche» Jean était ainsi, direct. Comme tous les marins, Maurel n'a pas été épargné par les coups durs au cours de sa carrière. Des chavirages, il en a connu. Dont un qui s'est, hélas, mal terminé. C'était le 21octobre 1999, lors de la Transat Jacques Vabre disputée entre LeHavre et Carthagène. Maurel était l'équipier de Paul Vatine sur le trimaran «Groupe André». Il y avait du vent. Jean dormait à l'intérieur. Paulo était à la barre quand, au large des Açores, le multicoque s'est retourné. Jean sera sauvé, non sans difficultés, par un cargo. Pas Paul... Maurel n'a jamais réussi à envoyer son deuil par le fond. Contrairement à la légende qui affirme que tout bon marin doit avoir grandi au bord de l'eau (ndlr: il est le 10novembre 1960 à Nantes), Jean Maurel, lui, avait été élevé dans l'ouest parisien.

Les années «multicoque»

Une mère dans l'immobilier, un père négociant en cacao. «Ma mère m'avait même inscrit en médecine, en me le cachant. Elle aurait tant voulu que je fasse des études». En guise d'études, Jean avait embarqué sur le «Bel Espoir» du père Jaouen où l'équipage était composé en grande partie de drogués et dépressifs. C'est là qu'il était tombé amoureux du large. Puis, ce furent les années «multicoque» avec «Elf-Aquitaine». A notre confrère Jean-Louis Le Touzet, le marin avait confié ceci dans les colonnes de Libération en novembre1999: «Les années Elf, c'était une période heureuse, je ne voyais pas le risque. Aujourd'hui, je pense que les marins eux-mêmes ont oublié que l'on peut mourir à 20 milles des côtes. Je sais qu'on ne gagne jamais en prenant des risques, mais parce qu'on sait freiner à temps. J'aimerais dire tout ça, mais je ne sais pas si les jeunes skippers sont prêts à l'entendre».

«Vous me manquez déjà»

Si, les skippers en herbe étaient prêts à l'entendre. D'ailleurs, ils l'écoutaient. Il fallait assister à un briefing d'avant course animé par Jean Maurel pour voir que les marins, vieux ou jeunes, expérimentés ou novices, tendaient tous l'oreille. Quand Maurel parlait, il n'imposait rien. Il suggérait. Comme en mer, où le marin propose et l'océan dispose. Le 20avril dernier, veille du départ de la Transat Concarneau - Saint-Barth', alors qu'il menait son dernier combat contre la maladie, Jean avait tenu à saluer les marins, par téléphone: «Je vais reprendre les propos d'Annie Girardot qui, lors de la remise des César, avait dit ceci: «Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français, mais le cinéma français m'a manqué...» Moi, je ne sais pas si je vais vous manquer mais vous, vous me manquez déjà beaucoup. Bon vent à vous tous». Bon vent Jean!

Source LeTelegramme

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